GLYPHOSATE : SENTIR LE VENT TOURNER
En pleine polémique dans toute l’Union
européenne après la réautorisation du glyphosate pour 5 ans, une petite société
française profite de la confusion ambiante pour se faire sa pub.
Image : personnelle
Elle explique qu’elle dispose d’une
alternative bio au glyphosate, mais que sa commercialisation est bloquée par
l’administration.
Elle diffuse largement sur les réseaux
sociaux (avec l’aide de ses soutiens et/ou des lobbies environnementalistes) des
articles disant à qui veut l’entendre que son produit existe, qu’il est d’une
efficacité démontrée, mais que l’administration, depuis 4 ans, bloque son
dossier sans motif. Elle se pose donc en victime d’une situation laissant
penser que l’administration est sous influence.
Et ça marche. Depuis quelques semaines, elle
a droit à des articles dans tous les périodiques, même les plus sérieux, elle
passe à la télévision, même en dehors de la France. Une publicité bien
orchestrée et, semble-t-il, efficace.
Voici quelques liens français. Il en existe
beaucoup d’autres.
L’administration chargée du dossier,
l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire
de l’alimentation, de l’environnement
et du travail), sans doute lasse de se voir
attaquée de toutes parts, vient de publier un communiqué dans lequel elle
précise la situation.
Elle y indique en particulier que, s’il est
vrai que le dossier n’avance pas, il est
par contre totalement faux d’en rendre l’administration responsable. En fait,
la société en question est la seule responsable de ne pas avoir fourni à
l’administration compétente les éléments nécessaires, et de ne pas s’être acquittée
des taxes correspondantes.
« Dès réception du dossier, il est apparu
que la plupart des pièces nécessaires étaient manquantes, y compris le
formulaire de demande administrative Cerfa, qui précise notamment les
caractéristiques du produit et de ses usages prévus, ainsi que par exemple :
-
la composition intégrale (les substances actives qui entrent dans la
composition devant
nécessairement
être approuvées préalablement au niveau européen),
-
les essais et études permettant d’évaluer l’efficacité du produit, et son
impact sur la santé et
l’environnement,
- le
projet d’étiquette du produit.
L’acquittement
de la taxe pour l’instruction de dossier (taxe réduite à 2 000 € au lieu de 40
000 €,
s’agissant
d’un produit de biocontrôle) n’a par ailleurs jamais été effectué. »
Il est donc très clair qu’un produit dit de
biocontrôle, autrement dit un pesticide biologique, doit respecter une démarche
claire et précise pour être homologué. On ne peut que s’en réjouir.
Le postulat disant que tout ce qui est
naturel est bon est régulièrement battu en brèche par la réalité.
On peut citer, en vrac,
- La nicotine, extraite du tabac, encore utilisée dans de nombreux pays comme
insecticide biologique et pourtant directement responsable de millions de morts
par an,
- L’arsenic, minéral naturel dont la toxicité n’est pas à démontrer, utilisé
comme fongicide (arséniate de sodium) sur les vignes jusqu'en 2001, et combiné
avec du plomb (arséniate de plomb), autre minerai naturel dont la toxicité est
largement reconnue, qui a été largement utilisé comme insecticide par exemple
contre le doryphore de la pomme de terre jusqu’en 1971,
- L’huile de neem, extrait végétal de l’arbre de neem, bouquet complexe de
substances naturelles, autorisée dans le monde entier comme insecticide
biologique, et perturbateur endocrinien avéré,
- Les pyréthrines naturelles, extraites de certaines plantes, insecticides
naturels très polyvalents, très largement employés même dans les insecticides
domestiques, très toxiques sur la faune aquatique, et perturbateur des liaisons
nerveuses (neurotoxique),
- Le cuivre, premier pesticide dans l’histoire de l’agriculture moderne, fongicide
et bactériostatique reconnu, très largement utilisé en agriculture, tant
conventionnelle que biologique, malgré son statut de métal lourd et de polluant
connu des sols et des eaux.
- On pourrait aussi citer de nombreuses substances naturelles, connues depuis
des siècles, comme la cigüe, le venin de serpent ou de scorpion, l’ergot de
seigle, le curare, et un très long etc. Je n’ai décrit que quelques substances
naturelles connues pour leur usage comme pesticide.
Il semble évident que la société en
question s’est lancée dans une communication parfaitement malhonnête, essayant
de faire avancer son dossier grâce à la pression de la société civile, la même
qui a réussi à monter en mayonnaise le dossier du glyphosate, qui pourtant ne
reposait au départ que sur de maigres suppositions.
Vous trouverez tous les détails sur le
produit et ses démarches dans l’article de mon collègue Seppi sur le lien http://seppi.over-blog.com/2017/12/osmobio-le-successeur-du-glyphosate-serait-la.vraiment.html?utm_source=_ob_email&utm_medium=_ob_notification&utm_campaign=_ob_pushmail
Cette charmante entreprise a sans doute
pensé que si le glyphosate a failli disparaître sur la base d’un dossier
totalement truqué et manipulé, pourquoi son produit ne pourrait-il pas être homologué,
sans dossier du tout?
Il est devenu évident, pour tous ceux qui
en doutaient encore, que les réseaux sociaux sont actuellement l’arme de
manipulation et de propagande la plus puissante et efficace qui soit.
Le patron de cette petite entreprise a par
ailleurs déclaré ne pas utiliser de produits chimiques qui « détruisent la
biodiversité ». Comme l’indique Seppi, son produit est lui-même issu de la
chimie naturelle. Il s’agit donc bien d’un produit chimique.
Et comme tout bon désherbant, son rôle est
avant tout de détruire la biodiversité par l’élimination des herbes
indésirables. Dans le cas des pesticides, et sur le plan de la biodiversité, synthétique
ou naturel, même combat.
Il me semble également bon de rappeler que
par essence, l’agriculture lutte contre la biodiversité, même sous ses formes
les plus écologistes, comme la permaculture.
A partir du moment où l’agriculteur sème un
champ d’une seule espèce, avec ou sans labour, avec ou sans pesticides, quelle
que soit la méthode de production et quelle que soit la surface dudit champ, il
perturbe la biodiversité.
C’est la même chose avec un jardin. Vous
voulez que votre jardin ne perturbe pas la biodiversité ? Laissez-le
ouvert, et en friche.
Mais attention, la demande d’homologation
concerne un « désherbant total des zones non agricoles », donc pour les
voies ferrées et les routes, mais pas pour l’agriculture, et pas pour les
jardins non plus.
Tout ça prend des airs de fausse nouvelle
et de manipulation.
Petit malin.
Cet entrepreneur utilise toute la rhétorique
écologiste, mais oublie juste de préciser les choses. Le mensonge par omission
est à la mode, de nos jours.
Il est malgré tout rassurant de constater
que la législation évolue en ce qui concerne les pesticides biologiques. En
effet, jusqu’à un passé très récent, les exigences étaient très superficielles
pour l’autorisation de commercialisation et d’usage des pesticides biologiques,
laissant place à un flou règlementaire donnant lieu à des abus nombreux,
toujours au prétexte que « c’est naturel ».
Une substance naturelle, pour pouvoir être
utilisée sur des futurs aliments doit désormais démontrer, bien sûr son
efficacité, mais aussi son innocuité aussi bien sur l’environnement que sur la
santé.
On observe la même tendance avec des
préparations à base de plante, comme le purin d’orties par exemple, qui doivent
désormais démontrer leur innocuité, ce qui ne plait pas à tout le monde. http://www.sudouest.fr/2017/12/04/environnement-la-guerre-de-l-ortie-n-est-pas-vraiment-finie-4004118-706.php
Le principe de précaution, s’il s’applique
aux substances synthétiques, doit s’appliquer exactement de la même manière et
dans les mêmes proportions aux substances naturelles. Ne croyez pas que je
défende le principe de précaution, je le considère comme une gangrène de notre
société moderne, à cause du frein au progrès qu’il représente, souvent sans
réelle justification. Il est trop souvent mis en avant. On ne doit pas faire
n’importe quoi, mais ce n’est pas une raison pour paralyser tous les progrès.
Ceci étant dit, si ce produit est bon et
si, comme la société qui le fabrique l’affirme, il respecte au mieux
l’environnement, l’utilisateur et le consommateur, alors très sincèrement,
comme agriculteur utilisateur (raisonnable et modéré) du glyphosate, je me
réjouis de l’arrivée de cette alternative.
Encore faudrait-il que cette société fasse
le nécessaire pour qu’il puisse être homologué. Elle a déjà déposé un brevet au
Canada, aux Etats-Unis, en Europe et enfin un brevet International sur sa formule.
Ça nous montre qu’elle compte en vendre, beaucoup même, pour gagner beaucoup
d’argent.
Au démarrage de toute entreprise à but
lucratif, ce qui est évidemment le cas de celle-ci, il y a la notion
d’investissement, c’est-à-dire une dépense initiale de fonds destinés à être
rentabilisés par les futures ventes du produit. Le brevet en fait partie bien
évidemment, mais le dossier d’homologation aussi.
Donc cher monsieur, faites l’investissement
nécessaire pour que votre produit puisse être homologué. Alors je me réjouirai de
pouvoir l’utiliser, mais seulement hors des zones agricoles, à moins que vous
ne fassiez le nécessaire pour que ce produit puisse aussi être utilisé dans les
cultures.
A moins évidemment, que sa toxicité, ses
résidus ou les risques qu’il présente pour la santé ou l’environnement ne
bloquent son homologation, ou son éventuelle future extension d’usage aux
cultures.
Même si c’est un produit naturel…
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