En voilà un sujet intéressant! Non ?
C'est qu'il y a beaucoup à en dire, et que
ça préoccupe beaucoup de gens.
C'est sans doute l'un des sujets dont me
parle le plus mon entourage, à part les pesticides et le bio, bien sûr.
Mais d’abord, c’est quoi la saveur ?
C’est une série de composés chimiques,
naturellement sécrétés par la plante, en fonction de ses besoins.
La plante ne cherche pas à nous faire
plaisir, elle cherche avant tout à
satisfaire ses propres besoins de multiplication et d'extension, et ses besoins
d'autodéfense.
Certains composés aromatiques sont donc
destinés à attirer des animaux dans le but de disperser les graines, d'autres
au contraire sont des composés répulsifs, irritants ou toxiques, destinés à
éviter la destruction de la graine ou de la plante elle-même, par les animaux.
Bref, ce qui fait la spécificité de chaque
aliment remonte à l'histoire botanique particulière de chaque type de plante.
Parmi les composés qui constituent la
saveur, on a d'abord les composés aromatiques, particuliers à chaque espèce,
les acides, les sucres, ainsi que l'astringence et l'amertume.
Or ces composés sont présents dans des
proportions variables en fonction de l'évolution du cycle végétatif de la
plante.
C'est ainsi que certaines espèces protègent
leurs graines, trop jeunes, par des composés désagréables, puis les rendent
attractives lorsqu'elles sont mures, afin de les rendre attirantes, grâce à des
arômes ou des sucres.
C'est par exemple le cas de la pêche, dont
la graine, lorsqu’elle est jeune, est riche en acide cyanhydrique ou acide
prussique, un composé très toxique, afin de la protéger. Plus tard, le taux
d'acide prussique se réduit ou disparait lorsque le bois du noyau est dur, donc
la graine protégée. La phase de maturation du fruit peut alors commencer, avec
l'apparition, dans les derniers jours, des arômes et des sucres, destinés à le rendre
attractif pour les grands animaux, sangliers ou cervidés par exemple, qui vont le
manger et participer à la dispersion des noyaux, donc des graines.
Photo: http://i64.servimg.com/u/f64/16/14/36/76/fruit10.jpg
Les composants qui font la saveur d'un fruit
ou d'un légume sont produits par la plante, en général dans les derniers jours
précédant la maturité physiologique. Autrement dit, un fruit ou un légume
cueilli trop tôt n'aura pas encore atteint son potentiel gustatif optimum.
Le même aliment, cueilli en surmaturité,
aura perdu une partie de ses caractéristiques. En effet, avec la maturité, la
chair s'oxyde par effet de senescence, et les arômes également, un processus de
fermentation commence, destiné à provoquer la chute du fruit, et à attirer d’autres
animaux, par exemple des mouches, afin de décomposer la chair, ce qui modifie
profondément les caractéristiques de l'aliment, pouvant même le rendre non
comestible.
C'est pour ça que quand j'entends les gens
dire que rien ne vaut un fruit muri sur l'arbre, je réponds ça dépend. Certains
fruits, comme beaucoup de poires ou de prunes, seront meilleurs s'ils sont
cueillis un peu plus tôt, puis affinés.
C’est une question d’équilibre entre les composants de la saveur, et de texture
de la chair.
Ma mère, au téléphone, me racontait ces
derniers jours qu'elle avait acheté à Bordeaux, des fraises d'une nouvelle
variété (dont j'ai oublié le nom), absolument délicieuses. Quelques jours plus
tard, à 200 km de là, elle décide de renouveler l'expérience mais, ô déception,
les fraises, pourtant de la même variété, étaient insipides.
Photo: http://static.ladepeche.fr/content/media/image/large/2013/05/12/201305121059-full.jpg
C'est ça, l'agriculture. Nous cultivons des
êtres vivants, soumis à des conditions variables, dont la physiologie dépend en
premier lieu des conditions climatiques, avec des agriculteurs différents ayant
chacun sa propre manière de travailler.
Pour obtenir un fruit de qualité (on va
dire un fruit pour simplifier, mais ça affecte la presque totalité des
productions végétales, légumes, racines, graines, feuilles, etc.), il faudra
réunir plusieurs conditions fondamentales:
- Un potentiel génétique de qualité. Soumises aux mêmes conditions environnementales, il y a des variétés
savoureuses et d'autres non. Si l'agriculteur cultive une variété à faible
potentiel de saveur, il n'obtiendra jamais un fruit excellent. Donc c’est le
premier point, pour l’agriculteur, ne pas se tromper dans le choix de la
variété.
- Des conditions de culture adéquates. Vous allez peut-être penser agriculture biologique, moi pas. La méthode
de culture ne compte pas en ce qui concerne la saveur. Là rentre en compte une
notion d'équilibre. Une plante a besoin de feuilles pour synthétiser les sucres
et les arômes par photosynthèse. Si la plante est trop faible, la qualité sera
moindre par son manque de capacité à alimenter les fruits, sauf si on lui
laisse une très faible charge, peu rentable pour l’agriculteur. En revanche si
la plante est trop vigoureuse, la qualité s'en ressentira aussi car les
éléments synthétisés seront consommés par l'excès de végétation, pas par les
fruits. Entre donc en ligne de compte le sol, la fertilisation, l'irrigation,
la protection phytosanitaire, les interventions mécaniques diverses, bref,
toutes les actions qui agissent directement ou indirectement sur l'équilibre de
la plante.
- Les conditions climatiques. C'est un facteur clé, mais totalement hors du contrôle de l'agriculteur.
Si vous avez tout fait à la perfection, du début à la fin, mais que vous vous
retrouvez, a la veille de la récolte, avec des pluies diluviennes ou plus
simplement un ciel couvert durant des jours, la saveur baissera de manière très
significative. Voyez à ce propos, mes deux récents articles https://culturagriculture.blogspot.com.es/2016/04/76-intemperies-7-le-manque-de-lumiere.html et https://culturagriculture.blogspot.com.es/2016/05/78-intemperies-9-la-pluie.html.
- Les conditions de récolte. Autre facteur clé, mais qui passe, celui-là par la décision de
l'agriculteur ou, pour être plus exact, par la décision de l'organisation
commerciale dont dépend l'agriculteur. En effet, selon la destination du
produit, il sera cueilli à son point de qualité gustative maximale, pour une
vente directe par exemple, ou il sera cueilli pour une consommation à 48 ou 72
heures, pour un marché local passant par des grossistes, ou il sera cueilli
pour une consommation à 4 à 7 jours, voire davantage, s'il s'agit d'une
expédition lointaine. Dans ces conditions, vous aurez plus de chance de trouver
des fruits et légumes savoureux en allant directement chez l’agriculteur,
acheter des produits de saison.
- Les conditions de conservation. C'est un point clé, en particulier pour les expéditions lointaines.
Pourquoi? En fait, pour temporiser le point précédent, les fruits cueillis pour
expédition lointaine ou pour conservation, peuvent être cueillis dans des
conditions très proches de celles des produits pour consommation à 48 ou 72
heures. La différence viendra principalement des conditions de conservation. Là
on entre dans un domaine où la technologie joue un rôle essentiel. J'y
consacrerai un chapitre particulier, car il y a beaucoup à en dire. Il est
pourtant important ici de signaler qu'un fruit d'une excellente qualité
gustative, mais mal conservé, pourra être décevant, voire mauvais au moment de
sa consommation. Et pour les détracteurs de la conservation des aliments, qui
sont de plus en plus nombreux, il convient de préciser que c’est un des aspects
essentiels pour la réduction du gaspillage alimentaire à travers le monde.
- L'aspect phytosanitaire. Je fais ici référence surtout aux pourritures en conservation, capables
de modifier totalement le gout des aliments. En général, elles sont faciles à
repérer, mais pourtant certains champignons, ou la majorité d'entre eux en
phase initiale, sont parfois difficiles à voir, mais ont pu avoir le temps
d'altérer la saveur de l'aliment. On en revient donc aux conditions de
conservation.
Comment
détermine-t-on la capacité gustative d’un aliment ?
Les composés aromatiques sont très
difficiles à mesurer. Ils sont même tellement difficile à mesurer, que pour des
produits hautement aromatiques (et à forte valeur ajoutée) comme le vin, le
chocolat, le café, le thé ou les cigares, on ne mesure pas les aromes, mais on
fait appel à des dégustateurs professionnels, chargés de caractériser chaque
type de produit, puisqu’on est pour l’instant incapable de le faire autrement.
Actuellement, le marché a simplifié le
problème du goût en le limitant à des mesures très simples comme le sucre et l’acidité.
Je vous avais proposé un article complet sur la mesure de la qualité au verger.
Je vous propose de le relire. http://culturagriculture.blogspot.com.es/2014/06/20-mesurer-la-qualite-au-verger.html
On peut simplement ajouter que le sucre et
l’acidité sont des critères de qualité, mais insuffisants pour garantir un
produit vraiment de grande qualité. Si vous mangez une fraise très sucrée,
acidulée à souhait pour équilibrer le gout, mais sans arômes, vous n’y prendrez
qu’un plaisir limité.
C’est un des grands problèmes de la
production agricole. Il est à peu près impossible, en agriculture, de produire
un aliment au gout régulièrement bon, d’une semaine à l’autre, ou d’une année à
l’autre. Les amateurs de vin le savent bien, puisqu’ils préfèrent certaines
années, dont la qualité est supérieure.
Ce phénomène affecte la totalité de la
production agricole.
Cette « faiblesse » a été
largement utilisée par les entreprises de production de produits lactés ou de
plats cuisinés, qui vantent la régularité gustative de leurs spécialités.
Evidemment, c’est tellement plus facile quand on peut homogénéiser le gout par
d’adjonction d’extraits aromatiques.
Les agriculteurs ne peuvent pas le faire,
sauf à produire sous serre, ou dans des pays au climat particulièrement
régulier, ce que font certains grands groupes agroalimentaires, en profitant au
passage de salaires bas dans les pays tropicaux d’Afrique ou d’Amérique du sud.
Et au fait, si on vous dit que les melons
sont piqués au sucre, je vous autorise à rire bien fort. C’est une pure légende
urbaine, inventée et colportée par des ignorants, ou des malveillants.
La goutte qui s'échappe par une fissure autour de la queue, est seulement
un signe repérable au champ, de l’état de maturité et d’un haut potentiel
gustatif du melon. L’agriculteur ne fait qu’observer quel est le meilleur
melon. C’est un critère de récolte, pas une manipulation.
Photo: http://www.rustica.fr/images/recolte-melon-1401-rust-l750-h534-c.jpg
La saveur est un vrai problème en
agriculture, puisque c’est un des caractères les plus difficiles à contrôler.
Le marché s’intéresse de plus en plus à la
qualité gustative, ce qui est normal, et même souhaitable. Pourtant on n’est
pas actuellement capable de garantir une qualité gustative.
Le marché, lui, ne comprend pas ces
difficultés, ou ne les accepte pas. En fait, l’ignorance du consommateur fait
que le metteur en marché ne veut pas le décevoir, et exige de l’agriculteur une
qualité minimale, en fait un simple taux de sucre en ce qui concerne les
fruits.
Un fruit aromatique mais peu sucré sera
refusé, mais un fruit sucré et insipide sera accepté.
Comme vous le voyez, il y a encore de
sérieux progrès à faire pour assurer une qualité minimum suffisante.
Ces progrès passent avant tout par la
sélection variétale, pour pouvoir planter ou semer uniquement des variétés à
potentiel gustatif élevé.
Clair et précis. Merci pour cet exposé. Ce devrait être un rappel pour certains, mais de cela, je n'en n'ai aucune certitude ...
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