jeudi 16 juin 2016

80- Qualité -3- La saveur

 QUALITÉ – LA SAVEUR

En voilà un sujet intéressant! Non ?
C'est qu'il y a beaucoup à en dire, et que ça préoccupe beaucoup de gens.
C'est sans doute l'un des sujets dont me parle le plus mon entourage, à part les pesticides et le bio, bien sûr.

Mais d’abord, c’est quoi la saveur ?
C’est une série de composés chimiques, naturellement sécrétés par la plante, en fonction de ses besoins.
La plante ne cherche pas à nous faire plaisir,  elle cherche avant tout à satisfaire ses propres besoins de multiplication et d'extension, et ses besoins d'autodéfense.
Certains composés aromatiques sont donc destinés à attirer des animaux dans le but de disperser les graines, d'autres au contraire sont des composés répulsifs, irritants ou toxiques, destinés à éviter la destruction de la graine ou de la plante elle-même, par les animaux.
Bref, ce qui fait la spécificité de chaque aliment remonte à l'histoire botanique particulière de chaque type de plante.

Parmi les composés qui constituent la saveur, on a d'abord les composés aromatiques, particuliers à chaque espèce, les acides, les sucres, ainsi que l'astringence et l'amertume.
Or ces composés sont présents dans des proportions variables en fonction de l'évolution du cycle végétatif de la plante.
C'est ainsi que certaines espèces protègent leurs graines, trop jeunes, par des composés désagréables, puis les rendent attractives lorsqu'elles sont mures, afin de les rendre attirantes, grâce à des arômes ou des sucres.

C'est par exemple le cas de la pêche, dont la graine, lorsqu’elle est jeune, est riche en acide cyanhydrique ou acide prussique, un composé très toxique, afin de la protéger. Plus tard, le taux d'acide prussique se réduit ou disparait lorsque le bois du noyau est dur, donc la graine protégée. La phase de maturation du fruit peut alors commencer, avec l'apparition, dans les derniers jours, des arômes et des sucres, destinés à le rendre attractif pour les grands animaux, sangliers ou cervidés par exemple, qui vont le manger et participer à la dispersion des noyaux, donc des graines.

Photo: http://i64.servimg.com/u/f64/16/14/36/76/fruit10.jpg

Les composants qui font la saveur d'un fruit ou d'un légume sont produits par la plante, en général dans les derniers jours précédant la maturité physiologique. Autrement dit, un fruit ou un légume cueilli trop tôt n'aura pas encore atteint son potentiel gustatif optimum.
Le même aliment, cueilli en surmaturité, aura perdu une partie de ses caractéristiques. En effet, avec la maturité, la chair s'oxyde par effet de senescence, et les arômes également, un processus de fermentation commence, destiné à provoquer la chute du fruit, et à attirer d’autres animaux, par exemple des mouches, afin de décomposer la chair, ce qui modifie profondément les caractéristiques de l'aliment, pouvant même le rendre non comestible.
C'est pour ça que quand j'entends les gens dire que rien ne vaut un fruit muri sur l'arbre, je réponds ça dépend. Certains fruits, comme beaucoup de poires ou de prunes, seront meilleurs s'ils sont cueillis un peu plus tôt,  puis affinés. C’est une question d’équilibre entre les composants de la saveur, et de texture de la chair.

Ma mère, au téléphone, me racontait ces derniers jours qu'elle avait acheté à Bordeaux, des fraises d'une nouvelle variété (dont j'ai oublié le nom), absolument délicieuses. Quelques jours plus tard, à 200 km de là, elle décide de renouveler l'expérience mais, ô déception, les fraises, pourtant de la même variété, étaient insipides.

Photo: http://static.ladepeche.fr/content/media/image/large/2013/05/12/201305121059-full.jpg

C'est ça, l'agriculture. Nous cultivons des êtres vivants, soumis à des conditions variables, dont la physiologie dépend en premier lieu des conditions climatiques, avec des agriculteurs différents ayant chacun sa propre manière de travailler.

Pour obtenir un fruit de qualité (on va dire un fruit pour simplifier, mais ça affecte la presque totalité des productions végétales, légumes, racines, graines, feuilles, etc.), il faudra réunir plusieurs conditions fondamentales:

-       Un potentiel génétique de qualité. Soumises aux mêmes conditions environnementales, il y a des variétés savoureuses et d'autres non. Si l'agriculteur cultive une variété à faible potentiel de saveur, il n'obtiendra jamais un fruit excellent. Donc c’est le premier point, pour l’agriculteur, ne pas se tromper dans le choix de la variété.

-       Des conditions de culture adéquates. Vous allez peut-être penser agriculture biologique, moi pas. La méthode de culture ne compte pas en ce qui concerne la saveur. Là rentre en compte une notion d'équilibre. Une plante a besoin de feuilles pour synthétiser les sucres et les arômes par photosynthèse. Si la plante est trop faible, la qualité sera moindre par son manque de capacité à alimenter les fruits, sauf si on lui laisse une très faible charge, peu rentable pour l’agriculteur. En revanche si la plante est trop vigoureuse, la qualité s'en ressentira aussi car les éléments synthétisés seront consommés par l'excès de végétation, pas par les fruits. Entre donc en ligne de compte le sol, la fertilisation, l'irrigation, la protection phytosanitaire, les interventions mécaniques diverses, bref, toutes les actions qui agissent directement ou indirectement sur l'équilibre de la plante.

-       Les conditions climatiques. C'est un facteur clé, mais totalement hors du contrôle de l'agriculteur. Si vous avez tout fait à la perfection, du début à la fin, mais que vous vous retrouvez, a la veille de la récolte, avec des pluies diluviennes ou plus simplement un ciel couvert durant des jours, la saveur baissera de manière très significative. Voyez à ce propos, mes deux récents articles https://culturagriculture.blogspot.com.es/2016/04/76-intemperies-7-le-manque-de-lumiere.html et https://culturagriculture.blogspot.com.es/2016/05/78-intemperies-9-la-pluie.html.

-       Les conditions de récolte. Autre facteur clé, mais qui passe, celui-là par la décision de l'agriculteur ou, pour être plus exact, par la décision de l'organisation commerciale dont dépend l'agriculteur. En effet, selon la destination du produit, il sera cueilli à son point de qualité gustative maximale, pour une vente directe par exemple, ou il sera cueilli pour une consommation à 48 ou 72 heures, pour un marché local passant par des grossistes, ou il sera cueilli pour une consommation à 4 à 7 jours, voire davantage, s'il s'agit d'une expédition lointaine. Dans ces conditions, vous aurez plus de chance de trouver des fruits et légumes savoureux en allant directement chez l’agriculteur, acheter des produits de saison.

-       Les conditions de conservation. C'est un point clé, en particulier pour les expéditions lointaines. Pourquoi? En fait, pour temporiser le point précédent, les fruits cueillis pour expédition lointaine ou pour conservation, peuvent être cueillis dans des conditions très proches de celles des produits pour consommation à 48 ou 72 heures. La différence viendra principalement des conditions de conservation. Là on entre dans un domaine où la technologie joue un rôle essentiel. J'y consacrerai un chapitre particulier, car il y a beaucoup à en dire. Il est pourtant important ici de signaler qu'un fruit d'une excellente qualité gustative, mais mal conservé, pourra être décevant, voire mauvais au moment de sa consommation. Et pour les détracteurs de la conservation des aliments, qui sont de plus en plus nombreux, il convient de préciser que c’est un des aspects essentiels pour la réduction du gaspillage alimentaire à travers le monde.

-       L'aspect phytosanitaire. Je fais ici référence surtout aux pourritures en conservation, capables de modifier totalement le gout des aliments. En général, elles sont faciles à repérer, mais pourtant certains champignons, ou la majorité d'entre eux en phase initiale, sont parfois difficiles à voir, mais ont pu avoir le temps d'altérer la saveur de l'aliment. On en revient donc aux conditions de conservation.


Comment détermine-t-on la capacité gustative d’un aliment ?
Les composés aromatiques sont très difficiles à mesurer. Ils sont même tellement difficile à mesurer, que pour des produits hautement aromatiques (et à forte valeur ajoutée) comme le vin, le chocolat, le café, le thé ou les cigares, on ne mesure pas les aromes, mais on fait appel à des dégustateurs professionnels, chargés de caractériser chaque type de produit, puisqu’on est pour l’instant incapable de le faire autrement.

Actuellement, le marché a simplifié le problème du goût en le limitant à des mesures très simples comme le sucre et l’acidité. Je vous avais proposé un article complet sur la mesure de la qualité au verger. Je vous propose de le relire. http://culturagriculture.blogspot.com.es/2014/06/20-mesurer-la-qualite-au-verger.html
On peut simplement ajouter que le sucre et l’acidité sont des critères de qualité, mais insuffisants pour garantir un produit vraiment de grande qualité. Si vous mangez une fraise très sucrée, acidulée à souhait pour équilibrer le gout, mais sans arômes, vous n’y prendrez qu’un plaisir limité.






C’est un des grands problèmes de la production agricole. Il est à peu près impossible, en agriculture, de produire un aliment au gout régulièrement bon, d’une semaine à l’autre, ou d’une année à l’autre. Les amateurs de vin le savent bien, puisqu’ils préfèrent certaines années, dont la qualité est supérieure.
Ce phénomène affecte la totalité de la production agricole.
Cette « faiblesse » a été largement utilisée par les entreprises de production de produits lactés ou de plats cuisinés, qui vantent la régularité gustative de leurs spécialités. Evidemment, c’est tellement plus facile quand on peut homogénéiser le gout par d’adjonction d’extraits aromatiques.

Les agriculteurs ne peuvent pas le faire, sauf à produire sous serre, ou dans des pays au climat particulièrement régulier, ce que font certains grands groupes agroalimentaires, en profitant au passage de salaires bas dans les pays tropicaux d’Afrique ou d’Amérique du sud.

Et au fait, si on vous dit que les melons sont piqués au sucre, je vous autorise à rire bien fort. C’est une pure légende urbaine, inventée et colportée par des ignorants, ou des malveillants.
La goutte qui s'échappe par une fissure autour de la queue, est seulement un signe repérable au champ, de l’état de maturité et d’un haut potentiel gustatif du melon. L’agriculteur ne fait qu’observer quel est le meilleur melon. C’est un critère de récolte, pas une manipulation.

Photo: http://www.rustica.fr/images/recolte-melon-1401-rust-l750-h534-c.jpg

La saveur est un vrai problème en agriculture, puisque c’est un des caractères les plus difficiles à contrôler.
Le marché s’intéresse de plus en plus à la qualité gustative, ce qui est normal, et même souhaitable. Pourtant on n’est pas actuellement capable de garantir une qualité gustative.
Le marché, lui, ne comprend pas ces difficultés, ou ne les accepte pas. En fait, l’ignorance du consommateur fait que le metteur en marché ne veut pas le décevoir, et exige de l’agriculteur une qualité minimale, en fait un simple taux de sucre en ce qui concerne les fruits.
Un fruit aromatique mais peu sucré sera refusé, mais un fruit sucré et insipide sera accepté.

Comme vous le voyez, il y a encore de sérieux progrès à faire pour assurer une qualité minimum suffisante.
Ces progrès passent avant tout par la sélection variétale, pour pouvoir planter ou semer uniquement des variétés à potentiel gustatif élevé.

1 commentaire:

  1. Clair et précis. Merci pour cet exposé. Ce devrait être un rappel pour certains, mais de cela, je n'en n'ai aucune certitude ...

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