L’AGRICULTURE MALADE DE SON SILENCE.
Comme je vous le disais à la fin de mon dernier article, une curieuse coïncidence a voulu que,
juste après la publication, le 9 février, de mon article nº 38 «L’affaire Alar»,
la chaine de télévision française publique France 2 diffuse, le 5 mars, un reportage
dans son programme de grande audience «Envoyé Spécial» au titre racoleur de
«Peut-on encore manger des pommes ?».
L’émission a violemment fait réagir la profession. Il
faut dire que l’orientation est claire : tirer à boulet rouge sur la
production de pommes, les techniques de conservation dans la première partie,
les techniques de protection phytosanitaire au verger ensuite.
Un seul point de vue est présenté, et certaines vérités
sont assénées sous une apparence pseudo-scientifique ou sensationnelle, quand
elles ne sont pas purement détournées (c’est le cas par exemple du panneau de
danger de mort à l’entrée de la chambre froide de conservation des pommes,
supposé avoir été mis là pour le soit disant dangereux produit de conservation,
pourtant classé sans risque, mais pour le très faible taux d’oxygène à
l’intérieur de la chambre froide, donc au risque d’asphyxie qui en découle).
Le débat n’a pas lieu, seuls interviennent les
détracteurs de ces techniques. Les témoins favorables, pourtant interrogés lors
du tournage, n’ont pas été inclus dans la présentation finale. Il y a volonté évidente de manipulation de
l’opinion des téléspectateurs.
Pour bien comprendre les réactions de colère de la
profession, je vous propose de procéder de la manière suivante :
1- Visionnez,
le reportage sur le lien : https://www.youtube.com/watch?v=PStbaVSOksA
2- Afin d’en
avoir une analyse scientifique non partisane, mais simple à comprendre, lisez
le texte suivant : « Culture et conservation des pommes : quand on
prend les téléspectateurs pour des poires. » http://www.pseudo-sciences-13.org/smartfresh-pommes.html
3- Si vous
souhaitez une interprétation par des professionnels de la protection
phytosanitaire, vous pouvez lire un texte bref et clair qui reprend le titre du
précédent : « Pommes : Envoyé Spécial : Quand on prend les
téléspectateurs pour des poires ». Vous y trouverez aussi un lien vers un
article très bien fait de la revue Végétable, de Julie Martin, une journaliste
contactée pour participer au reportage : http://www.forumphyto.fr/2015/03/20/pommes-envoye-special-quand-on-prend-les-telespectateurs-pour-des-poires/
4- Enfin, pour
avoir un point de vue pertinent de la part d’un producteur de pommes impliqué
dans la vie professionnelle, allez voir le blog de Daniel Sauvaitre, président
de l’ANPP (Association Nationale Pomme Poire), et président de WAPA (World
Apple and Pear Association), très en colère dans ce cas et qui rédige un série
de 6 articles qui décortiquent le reportage point par point http://www.daniel-sauvaitre.com/2015/03/c-est-dur-d-etre-filme-par-des-cons-nes-ou-quand-la-pomme-voit-rouge-1.html
Je ne crois pas pouvoir ajouter une opinion intéressante
sur le reportage en lui-même. Je dirais juste qu’il est très surprenant de constater, 26 ans après l’affaire Alar, que
le même sujet soit à nouveau mis sur la sellette, sans aucune raison
justifiable. Le sujet est en fait la possibilité de conserver des aliments
durant des mois, tout en maintenant au maximum ses qualités nutritives, de
présentation et de saveur. Pourquoi ce fait doit-il obligatoirement être
suspect ?
Dans le même temps, les détracteurs de ces techniques
sont aussi ceux qui déplorent le plus (avec raison dans ce cas) le monstrueux gaspillage
alimentaire qui se produit au niveau planétaire. Or, tout le monde, au moins
dans les milieux qui s’en préoccupent, sait qu’un des principaux moyens pour
réduire ce déplorable gâchis, est précisément l’amélioration des techniques de
conservation.
Partout dans le monde, on cherche à améliorer les
conditions d’accès aux aliments, on veut réduire le gaspillage alimentaire, on
finance des efforts de développement des pays ou des régions les plus pauvres.
Mais pendant ce temps, dans les pays occidentaux, on
refuse les progrès réalisés depuis 70 ans, qui ont permis à nos régions de disposer
d’une alimentation abondante, toujours plus respectueuse de l’environnement, et
qui n’a jamais été aussi saine. On veut y maintenir l’Agriculture sous une
chape d’obscurantisme.
Alors, que cherche-t-on, au juste ? A vendre, à
faire de l’audience, à se faire connaitre, au risque de couler tout un pan de
l’économie, tout en jouant à effrayer les consommateurs.
Je veux m’exprimer sur la raison pour laquelle, à mon
avis, ce genre de manipulation de l’opinion, de propagande destructrice, peut,
aujourd’hui, se produire.
L’Agriculture semble avoir honte de
ses propres pratiques, alors que ça devrait être le contraire. Elle n’en
parle pas, et quand l’occasion se présente, elle refuse souvent de le faire. L’Agriculture
parait être devenue la seconde « Grande Muette », mais par volonté
propre.
Rien d’étonnant donc à ce que des gens mal intentionnés,
reçoivent un bon accueil quand ils présentent, de belle manière et sous
l’aspect d’une enquête honnête et révélatrice de secrets bien gardés, des
sujets sensibles, détournés dans le sens de la thèse qu’ils veulent soutenir.
Et l’Agriculture passe encore une fois pour
l’empoisonneuse, malgré les réactions de la profession qui n’y pourront
probablement pas grand-chose. Rappelez-vous ce que j’écrivais en février, dans
mon blog, à propos de l’Affaire Alar : « Face à un argumentaire simpliste et
manipulant la peur, la science se trouve toujours démunie. En effet,
l’argumentaire a un effet immédiat, introduisant le doute ou la peur dans
l’esprit du public visé. Quant à la science, il lui faut des semaines, des mois
ou des années pour démontrer le mensonge. »
Voilà le vrai problème.
L'Agriculture communique presque
toujours sur la défensive, à la suite d'attaques
médiatiques, le plus souvent sans fondement, comme c'est le cas de cette
émission d'Envoyé Spécial. Du mensonge organisé dans le seul but de faire de
l'audience.
Il y a bien quelques personnes,
dont je fais partie, qui tentent, au travers des réseaux sociaux, de changer
cette tendance. Mais le résultat est très faible, la majeure partie de leur
public étant en relation, plus ou moins étroite, avec le monde agricole.
Comment faire pour atteindre la
seule vraie cible d’une communication bien faite, le grand public ?
En lui présentant les choses pour
qu’elles soient faciles d’accès, ludiques, tout en ayant une base scientifique
démontrable.
Ça peut être, par exemple, un
parc d’attractions autour du sujet, un salon bien pensé pour le grand public,
des émissions de télévision à des heures de grande écoute familiale.
L’Agriculture
ne doit plus laisser parler les autres à sa place, en générale de manière erronée et
négative. Elle doit s’organiser pour
communiquer, et prendre l’initiative, communiquer de manière positive, sans
tabou, afficher clairement la transparence sur ses méthodes, ses techniques et
ses pratiques. Tout doit y être présenté, expliqué et justifié, du bio sous
toutes ses formes à l’agriculture de précision et à l’agriculture industrielle.
Il est indispensable et urgent que
l'Agriculture apprenne à se faire connaitre pour ce qu'elle est, pas pour ce
que les autres croient qu’elle est, et encore moins pour ce que d’autres veulent
faire croire qu'elle est.
N'oublions pas que les générations successives, jusqu’à
celles des années 70 avaient toutes, ou presque, vécu à la campagne, ou avaient
au moins un parent lié à l'agriculture, ce qui leur donnait une certaine
familiarité, voire une connaissance et une pratique, même limitée, de ces
sujets.
En revanche, les générations à partir des années 80 sont
essentiellement citadines et n'ont plus aucun lien avec la campagne et
l'agriculture. Elles sont donc une cible idéale pour qui veut leur faire avaler
des couleuvres.
Autre problème, et pas des moindres, les citadins, les
vrais, qui décident de se mettre au vert, soit en s’installant dans un village
à proximité de la grande ville, soit en prenant une résidence secondaire pour y
passer les week-ends et les vacances. Ils ne comprennent pas ou n’acceptent pas
qu’un agriculteur doive travailler la nuit, le dimanche, lui gâche ses
grasses-matinées ou ait une fosse à purin derrière l’étable (depuis toujours),
mais juste devant l’emplacement de sa future véranda. Le même problème existe
avec la progression de l’urbanisme qui occupe de plus en plus de zones
agricoles traditionnelles, et provoque un voisinage difficile.
Bref, il existe deux mondes
complémentaires et inséparables, mais qui ne se comprennent pas, au point
de devenir incompatibles.
En plus, la communication a changé. Internet donne accès
à des quantités extraordinaires d'informations, souvent non authentifiées. Quand on voit la quantité d'erreurs,
d’approximations et de mensonges diffusés dans les journaux ou à la télévision,
imaginez sur Internet!
Les consommateurs changent, ils sont inquiets, avides
d'informations simples et faciles à comprendre.
En matière de communication, l’Agriculture est son propre
pire ennemi. Elle s’est imposé de manière progressive, et presque
naturellement, une loi du silence qui est en train de la détruire.
La nature a horreur du vide, également en matière de
communication. Les questionnements des consommateurs ne restent pas sans
réponse, mais ce n’est pas l’Agriculture qui y répond.
Elle doit apprendre à montrer et expliquer les
innovations technologiques dont elle s'équipe ou pourra s'équiper dans
l'avenir.
Imaginez que tous les secteurs agricoles,
au niveau européen par exemple, unissent leurs efforts et leurs budgets pour
créer des messages, des émissions de télévision, des évènements en commun,
montrant le savoir-faire, la modernité et la diversité de l'agriculture, en Europe
et dans le monde. Imaginez une émission télévisée hebdomadaire, à une heure
d'audience familiale importante, qui présente l'agriculture sous toutes ses
formes, sans tabou ni mensonge, d’une manière attrayante.
Croyez-vous
réellement que si l’agriculture formait davantage partie du quotidien des
téléspectateurs, les marchands de peur auraient autant de facilité à leur
raconter n’importe quoi?
L’utilisation de la peur est avant tout possible
par l’ignorance du public visé. Alors formons-le, informons-le, mais avec de la
vraie information de qualité, pas avec des messages manipulés ou dévoyés.
Il est normal que les consommateurs soient
préoccupés par la qualité de leur alimentation. Ça les concerne au quotidien,
et on leur raconte tout et son contraire. Ils sont perdus, et dans le même
temps, ils sont ignorants et souhaitent en savoir plus. Qui occupe le terrain
de l’information ? Les lobbies écologistes, les adeptes des pseudosciences,
et les antisystèmes en tous genres. En face, selon le principe du « qui ne
dit mot, consent », l’Agriculture laisse bien souvent courir ou s’empêtre
dans des explications maladroites ou compliquées, toujours sur la défensive.
Il faut d'urgence dédiaboliser l’Agriculture
et la protection phytosanitaire, et ça ne se fera pas par le
silence, au contraire. Il faut en parler, et comme il est dit dans l'article de
slate.fr présenté dans mon article précédent (nº 40 « Fier d’être
agriculteur »), "avec une mise
en scène adéquate et des activités instructives et ludiques autour de ces
sujets, ça pourrait devenir un grand attrait du Salon agricole le plus familial
et le plus ouvert au grand public."
Soyons fiers d'être agriculteurs. Soyons
fiers du travail difficile que nous réalisons tous les jours pour que la
population puisse avoir à sa disposition une nourriture abondante, diversifiée
et saine.
Et vous, mes chers lecteurs non agriculteurs, simples
consommateurs de produits agricoles, éloignés de nos préoccupation, et
préoccupés par votre santé et par la qualité de vos aliments, souvenez-vous que
la qualité et la sécurité des aliments n’a jamais été aussi grande
qu’actuellement.
Si vous doutez de cette qualité, que vous pensez qu’elle
était meilleure autrefois, lisez en français http://www.forumphyto.fr/2015/03/16/plaidoyer-pour-la-nourriture-rapide-et-contre-les-luddites-culinaires/
ou en anglais, l’article original http://www.utne.com/environment/fast-food-culinary-ethos.aspx?PageId=1
Ne vous laissez pas berner par les marchands de peur.
Vous en êtes les victimes, et nous aussi.
Soutenez l’Agriculture, elle votre meilleure garantie d’un avenir sain.
Merci pour cet article.
RépondreSupprimerJ'avoue je me suis fais berner par l'émission d'Envoyé spécial sur le SmartFresh que je me suis empressé de relayer sur Facebook.
Heureusement grâce à la sagacité d'un de mes amis, qui a relayé cet article, on a pu déjouer la manipulation.
Encore merci et continuez le bon boulot ;)
Merci à vous, c'est dur, souvent, de défendre des vérités auxquelles personne ne croit.
Supprimer