AGRICULTEURS,
EMPOISONNEURS ?
En avril 2015, Forum Phyto
(une association consacrée à la protection phytosanitaire, défendant l’accès
raisonnable à la chimie), diffusait un très intéressant plaidoyer de Sylvie
Brunel (Géographe et écrivain, professeur à Paris-I-Sorbonne) pour défendre
l’agriculture. http://www.forumphyto.fr/2015/04/29/un-vibrant-plaidoyer-de-sylvie-brunel-pour-une-agriculture-moderne/
L’article avait d’abord été
publié sur l’édition digitale du journal Le Monde sous le titre «Les
agriculteurs ne sont pas des pollueurs empoisonneurs»
Avec l’autorisation de
Sylvie Brunel, j’ai décidé de reproduire le texte complet, puis d’y ajouter
certains commentaires qui me paraissent importants.
Le texte fait référence à la
situation en France, mais on peut l’extrapoler à de nombreux autres pays.
« La colère gronde dans les campagnes françaises. Affrontements
autour du barrage de Sivens, appels à ne plus consommer de viande, dénonciation
des OGM et de la culture du maïs, critique de la «mauvaise» agriculture (dite
«productiviste») contre le «bon» bio… les paysans n’en peuvent plus de toutes
les accusations qu’ils entendent à longueur de journée.
Image: http://footage.framepool.com/shotimg/qf/545148634-manure-pile-cigoc-farm-building-barn-fowl.jpg
Pour beaucoup d’urbains, la poule picorant sur le tas de fumier symbolise
toujours le bon vieux temps, l’Éden perdu de nos campagnes. Ils oublient la
pénibilité du travail agricole d’hier, le vieillissement prématuré des paysans,
le départ des femmes, épuisées par le labeur incessant, toutes les maladies
liées à l’alimentation, la dépendance et l’insécurité alimentaires. Précisément
la situation de tous les pays pauvres aujourd’hui.
Les agriculteurs français vivent désormais plus longtemps que le reste de
la population française. Après avoir souffert de la faim et avoir importé
massivement de la nourriture, notre pays est devenu, grâce à eux, une grande puissance,
qui nourrit non seulement ses concitoyens, mais aussi des pays structurellement
importateurs, où l’accessibilité à la nourriture garantit la paix sociale.
Chaque fois qu’une exploitation agricole disparaît, le développement
durable régresse. Nos paysages, qui séduisent le monde entier, n’ont rien de «naturel»,
ils sont le produit de siècles d’aménagements agraires soigneux, qui ont
engendré la Camargue, le marais poitevin, les Landes, la Bresse… Un paysan qui
met la clé sous la porte, c’est non seulement une grande perte de richesses et
de savoir-faire, mais des chemins qui se ferment, la friche qui envahit tout,
les lotissements et les parkings à perte de vue, du béton pour remplacer la
biodiversité nourricière, le risque d’incendie dans le midi.
Image: https://static.panoramio.com.storage.googleapis.com/photos/original/79508943.jpg
Le prétendu bio
Ceux qui accusent les paysans d’être des «profiteurs» parce que
l’agriculture a besoin de soutiens pour pouvoir vendre ses productions à prix
bas, scolarisent leurs enfants et se font soigner gratuitement sans se demander
de quoi ils profitent et trouvent normal que leurs aliments soient variés et
d’une qualité que la Chine nous envie et les Etats-Unis aussi. Le militant
féroce qui dénonce l’agriculture moderne se mue en consommateur intransigeant
dès qu’il met son enfant à la cantine, pousse la porte d’un restaurant ou fait
ses courses, exigeant de manger bon pour pas cher.
La «conversion» au bio – terme qui relève du registre religieux, et ce
n’est pas un hasard – n’est en définitive meilleure ni pour la planète (plus de
CO2 lié au désherbage mécanique, ou au transport, quand le prétendu bio,
souvent industriel, arrive du bout du monde), ni pour le portefeuille – des
produits plus chers en raison du coût de la main-d’œuvre et de quantités
produites généralement plus faibles–, ni pour le goût, personne n’ayant pu
prouver la supériorité organoleptique des aliments bio, dont les contaminations
sont soigneusement tues et les normes changeant au bon vouloir d’organismes ad
hoc.
Ils se conservent en outre très peu de temps, d’où un gaspillage immense.
Il ne s’agit pas d’imiter les joueurs de flûte qui profèrent des oukases contre
l’agriculture conventionnelle en lui opposant des exemples de réussite, toujours
soigneusement choisis et rarement généralisables : le bio a sa place dans
l’agriculture, ne serait-ce que parce qu’il permet à certains paysans d’être
mieux rémunérés pour leur travail. Mais qu’on le généralise, et la France
redeviendra une grande importatrice de nourriture – en provenance de pays non
bio – au lieu de ses excédents agroalimentaires, qui atténuent le déficit de
notre balance commerciale.
Accuser les paysans d’être des pollueurs et des empoisonneurs, c’est
méconnaître les immenses progrès accomplis dans les campagnes. Employer la
bonne dose, calculée au plus juste, au bon moment, produire plus avec moins,
nos producteurs sont devenus, pour des raisons autant environnementales
qu’économiques, des as de l’agriculture de précision, que n’importe quel
jardinier du dimanche bafoue allègrement avec son si bon «fait maison».
Image: http://image.slidesharecdn.com/3ayral-121203032202-phpapp01/95/atelier-2-les-technologies-au-service-de-la-nutrition-des-plantes-solutions-de-diagnostic-temps-rel-laide-de-capteurs-de-fuorescence-pour-la-nutrition-des-plantes-5-638.jpg?cb=1354504957
Refuser l’irrigation est une démarche criminelle quand le Groupe
d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat nous prévient que le
changement climatique menace la sécurité alimentaire mondiale. Alors que les
terres cultivées sont de plus en plus grignotées par les villes, l’extension
des réseaux et des zones vertes «protégées» – de qui et pour qui, la question
mérite d’être posée–, stocker l’eau quand elle abonde pour l’utiliser quand il
fait sec s’impose.
Vision passéiste et
erronée des campagnes
L’irrigation a produit les civilisations les plus brillantes. Et ces
citadins qui s’insurgent contre les réservoirs sont les premiers à venir
observer leur biodiversité exceptionnelle quand ils existent enfin, zones de
récréation et de loisir prisées. Comment oser parler de gaspillage d’eau, quand
la France utilise une infime partie de ce qui tombe du ciel pour repartir à la
mer?
Cesser de consommer de la viande ne résoudra pas la faim dans le monde.
Loin de se réorienter vers les pauvres et les affamés, les céréales ainsi
«libérées» disparaîtront car, partout, la production de nourriture s’adapte à
la demande solvable. Faute de débouchés, les éleveurs, qui valorisent les
terres peu fertiles, mettront la clé sous la porte. Davantage de chômeurs au
nord, de malnutris au sud, est-ce ce que nous voulons? Il faudra aussi trouver
une solution pour les vaches laitières de réforme, qui constituent plus des
deux tiers de la viande consommée en France : des maisons de retraite pour
bovidés?
Quant au maïs si injustement décrié, s’il progresse partout dans le
monde, et notamment en Afrique où il tend à remplacer le sorgho, c’est
qu’aucune céréale ne produit autant à l’hectare, aucune ne capte autant de CO2,
aucune n’est aussi polyvalente et universelle, nourrissant à la fois les
hommes, les animaux, la chimie verte, le besoin d’énergie renouvelable. Et même
la biodiversité : que ceux qui dénoncent sa monoculture – il n’épuise pas les
sols – viennent admirer les grues cendrées dans les champs de maïs des Landes.
Où la plante, comme partout ailleurs, a permis de lutter contre la pauvreté.
Image: http://footage.framepool.com/shotimg/qf/344426246-cornfield-corn-maize-common-crane-migratory-bird.jpg
Le droit à ressemer ? De bonnes semences sont la clé de la sécurité
alimentaire. Ressemer, comme en Afrique, expose à de maigres résultats. Le
paysan peut le faire, mais il ne le souhaite pas : il veut une récolte sûre,
des rendements, des revenus. Les pays pauvres, qui savent qu’ils devront
produire un milliard de tonnes de céréales en plus d’ici quarante ans,
cherchent toutes les solutions. Le génie génétique est l’une d’elles. Pour
lutter contre les ravageurs, l’agriculture a besoin d’innover en permanence. Là
encore, les combats idéologiques ne sont pas de mise.
Beaucoup de Français refusent de voir la réalité en face et se bercent
d’une vision passéiste et erronée des campagnes. Ils sont en train de
décourager le monde agricole. Pourtant, sans paysans, la France mourra. Cessons
de les accuser injustement. Ecoutons-les, respectons-les. Ils tiennent notre
avenir entre leurs mains.»
Difficile d’ajouter un
commentaire intelligent après cela.
Pourtant, cet article a
déchainé quelques débats épicés, voire orageux sur les réseaux sociaux. Ceux
que j’ai pu lire ne font en fait référence qu’à une seule expression « Le
prétendu bio ».
Je n’en ai pas parlé avec
Sylvie Brunel, mais mon interprétation en est la suivante :
Un des grands problèmes du
bio est sa massification. Le bio est avant tout devenu un marché, avec des perspectives
économiques importantes.
Le bio, tel qu’il a été
pensé à l’origine, et surtout tel qu’il est présenté au consommateur, est une
méthode de production qui essaye de respecter la nature en refusant la chimie.
Par extension, toute action polluante est bannie ou limitée.
Mais la réalité n’est pas
tout à fait celle-ci. Vous pouvez acheter vos produits bio chez l’agriculteur
certifié, sur le marché de votre quartier ou dans la boutique spécialisée.
Mais la majeure partie de ce
marché est occupé par les supermarchés, avec leurs impératifs de volume, de
conservation, de présentation, et de prix.
Il existe donc une autre
agriculture bio, à plus grande échelle, destinée à fournir ces marchés de
grands volumes. C’est du bio, du vrai, car, sauf exception, il respecte
scrupuleusement les cahiers des charges, mais c’est du bio « industriel »,
destiné à produire massivement, en contrôlant les couts et en optimisant les
problèmes logistiques. Le résultat en est que les plus gros pays producteurs de
produits bio sont aujourd’hui l’Inde, l’Ouganda et le Mexique, et les plus
forts développements sont observés en Chine et en Océanie (voir à ce sujet le
dossier Arte « Du bio pour tout le monde ? »
Donc on produit de plus en
plus d’aliments bio, mais le bio local, de petit producteur, idéalisé par le
consommateur, ne représente plus, de très loin, qu’une minorité de cette
production. Le plus gros arrive de loin, ou de très loin, après de nombreux
kilomètres en camion, en bateau, ou même en avion, bref, par des moyens très
éloignés d’une agriculture durable. Dans le même temps, puisque beaucoup
d’investisseurs, flairant la bonne affaire, ont créé de grosses fermes bio à
travers le monde, le bio est devenu productiviste. Je ne considère pas que ce
soit un crime, mais ça fait un peu désordre dans un tableau idéalisé.
Peut-on encore appeler cela
du bio ?
Image: https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjdgVKJolZhO9_4GxhQ_Hl-AR_ZIUbP3n1kF4C2fHY4Z5LN3ORCBqbnPabnniRyL1pUezyTPJnlcS1L2ls1k4Vh6uQr-KoeY4azUpCO0AZm1pso2u-dSFn4Kr-VPVjk8_VGFfIWNtWiTUKF/s1600/IMG00152-20111130-1632.jpg
Je comprends que c’est
à cela que fait allusion Sylvie Brunel
dans son texte. Il ne s’agit pas d’une remise en cause du bio en lui-même,
plutôt une critique de cette évolution discutable.
Si vous voulez en savoir
plus sur Sylvie Brunel, allez par exemple sur http://www.wikiberal.org/wiki/Sylvie_Brunel
Vous pouvez aussi relire ce
que j’ai écrit sur ces sujets dans plusieurs articles antérieurs, en commençant
par l’un des tout premiers, intitulé «métamorphose»,
ainsi que «fier d’être
agriculteur» http://culturagriculture.blogspot.com.es/2015/03/40-fier-detre-agriculteur.html
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire