L’affaire ALAR
Aujourd’hui, je vais vous raconter une histoire.
C’est une histoire vraie, vieille d’un quart de siècle, et pourtant tout à fait
d’actualité. J’ai choisi ce cas, l’un des premiers du genre, car je l’ai vécu
directement et qu’il est révélateur d’une manière de procéder qui a su trouver
ses adeptes et qui fonctionne toujours aussi bien.
Nous sommes en 1989 aux Etats-Unis, le pays
de la pomme. Un célèbre dicton américain, largement utilisé, et mis à toutes
les sauces ou détourné, comme dicton, humour, à des fins publicitaires, contre-publicitaires
ou même politiques, qui est « an apple a day keeps the doctor away »,
c’est à dire une pomme par jour éloigne le docteur.
La pomme est donc LE fruit par excellence.
La production de pomme est extrêmement dynamique, l’une des plus importantes au
niveau mondial.
Le consommateur américain, comme partout
dans le monde à cette époque, ne se pose pas de question et mange ses pommes,
tous les jours, comme il se doit.
Pourtant, un évènement va briser la
tranquillité du mangeur de pomme américain.
En février 1989, le NRDC (Natural Resources
Defense Council), une association de consommateurs, intervient lors d’une très célèbre
émission, 60 minutes, sur la chaine de télévision CBS, avec l’appui de la non
moins célèbre actrice Meryl Streep. L’intervention se base sur un rapport de la
NRDC, récemment rendu public, intitulé « Risque intolérable : des
pesticides dans la nourriture de nos enfants » ("Intolerable Risk:
Pesticides in Our Children's Food »). L’émission est un immense succès
médiatique, avec plus de 40 millions de téléspectateurs.
Les messages sont simples, et frappants, du
type « cet enfant va avoir un cancer car il a mangé des petits pots de
pomme ».
Les conséquences sont dévastatrices, avec
suppression des pommes dans les cantines, dans de nombreux restaurant, et une
chute impressionnante des ventes du fruit le plus emblématique du pays. Les
pertes pour les producteurs sont énormes. On utilise alors le terme de « The
Alar Scare », ou Panique de l’Alar, ainsi que « The Big Apple Scare »,
ou Grande Panique de la Pomme.
Le scandale s’étend rapidement au Canada,
puis au reste du monde.
Cette même année, au mois de juin, je
participais à un voyage d’étude avec un groupe de conseillers agricoles du sud
de la France au Canada (Colombie Britannique) et aux Etats-Unis (Etats du
Washington et de Californie). Je pus vérifier que la psychose de l’Alar était
bien implantée. Les étalages de fruits indiquaient tous « No Alar ».
On peut pourtant douter de la véracité de l’annonce, puisque les pommes à la
vente au mois de juin étaient issues de la récolte de l’année précédente,
c’est-à-dire d’avant que le scandale n’éclate. Il est donc probable que la
plupart des pommes mises à la vente avaient été traitées dans le verger.
Alar était un produit à base d’une
molécule, le daminozide, dont les effets sur la plante, après une application
au verger, permettaient une amélioration notable de la coloration rouge des
fruits, et surtout une forte amélioration de sa capacité de conservation.
Son usage était alors extrêmement répandu,
dans beaucoup de pays du monde.
Comme pour tout produit chimique utilisé en
agriculture, de nombreux travaux furent conduits, même après son homologation,
afin de poursuivre les travaux sur son innocuité.
Dans le cas qui nous intéresse, une étude (celle
sur laquelle s’appuyait le NRDC), montrait un risque de développement de
cancer, sur des animaux de laboratoire, dû à la consommation de compotes, de
jus de fruits ou de pommes traitées avec ce produit.
Je ne vais pas rentrer dans les détails de
l’affaire, qui sont assez complexes, mais en résumé, les travaux conduits après
ce scandale, montrèrent ou confirmèrent plusieurs choses :
- La molécule se modifie après cuisson et le risque s’aggrave. Il y a donc un
danger un peu supérieur pour les compotes pour enfants.
- Le produit peut effectivement provoquer un problème. Il est vrai qu’il existe
une dose à partir de laquelle le danger existe.
- Pour atteindre la dose à risque, et pour que le danger de développer un cancer
existe, une personne devrait consommer au moins 20.000 litres de jus de pomme
par jour pendant de nombreuses années !!!!
L’argumentaire de la NRDC reposait sur un
risque non précisé. En effet, à aucun moment du débat la notion de dose n’avait
été évoquée, au moins dans les premières semaines, celles qui provoquèrent la
panique.
Autrement dit, un groupe de pression a basé
une communication volontairement destructrice, sur une vérité détournée. Le
risque de cancer existe, oui c’est sûr, mais il est impossible d’atteindre la
dose dangereuse sans se noyer avant.
Dans
ces conditions, tous les aliments sont dangereux et il devient indispensable d’interdire
toute forme d’alimentation !!!
La société Uniroyal dépensa des fortunes
pour essayer de réhabiliter son produit, sans succès. Le marché de la pomme marqua
un arrêt brutal. Les producteurs de pommes américains réclamèrent (sans succès)
des pertes chiffrées à l’époque à $100 millions. Mais la réalité est que le
marché reprit assez rapidement un cours normal, et finalement les répercussions
économiques directes furent assez limitées.
Ce cas, bien connu parmi les producteurs de
pommes, est l’un des premiers du genre. C’est en tous cas le premier que j’aie vécu
au cours de ma carrière professionnelle.
La réaction brutale des consommateurs
s’explique par la peur tout simplement, la peur viscérale de l’empoisonnement.
Pourtant les consommateurs américains de l’époque étaient habitués à consommer
quotidiennement beaucoup de produits nettement plus dangereux que la pomme
traitée avec Alar. Et il n’y avait aucun problème.
C’est que personne ne s’était chargé
d’introduire le doute et la peur dans leur esprit.
Le
doute et la peur sont de redoutables armes de marketing politique et de
marketing commercial.
L’histoire récente est pleine d’exemples,
parfois dramatiques, qui le démontrent. Pour rester dans le monde agricole, et ne
prendre que deux exemples actuels, c’est le mode choisi par les opposants aux OGM
et par les lobbies Bio avec l’appui du
pouvoir politique pour essayer de faire interdire les pesticides non
biologiques.
Même si les nombreuses études, même les
plus objectives et les plus récentes démontrent le contraire, il est presque
impossible de lutter contre le doute.
Face
à un argumentaire simpliste et manipulant la peur, la science se trouve
toujours démunie. En effet, l’argumentaire a un effet immédiat, introduisant le
doute ou la peur dans l’esprit du public visé. Quant à la science, il lui faut
des semaines, des mois ou des années pour démontrer le mensonge.
C’est le pouvoir de la
communication, bien connu de tous les extrémistes, populistes et autres
dictateurs. Il suffit de trouver les mots qui frappent, et on peut faire avaler
n’importe quel genre de message, même faux. On peut même convaincre l’opinion
que ce qui est totalement faux est la pure vérité.
Cherchez bien autour
de vous. Combien de messages de ce type recevez-vous quotidiennement?
Beaucoup, et le pire,
c’est que vous ne vous en rendez sans doute pas compte. On ne s’en rend compte
que sur des sujets que l’on maitrise bien, et sur le reste, on se laisse bercer
par des discours nettement orientés.
Certains appellent ça
de la manipulation, d’autre de la propagande, d’autres encore, de la publicité.
Le plus important, c’est de réussir à avoir l’opinion publique en sa faveur.
Alors, ne laissez pas
les marchands de peur s’emparer de votre libre arbitre. N’ayez pas peur quand
on vous parle de chimie, d’OGM ou de pesticides.
Informez-vous
vraiment, et vous verrez qu’il n’y a pas de raison d’avoir peur.
Mais attention, exigez
des études complètes et impartiales. Que personne ne puisse vous tromper, ni
dans un sens, ni dans l’autre.
Je ne dis pas que les
pesticides sont inoffensifs, ni que les risques liés aux OGM sont tous
parfaitement connus et maitrisés. Je dis seulement qu’il ne faut pas s’opposer
à tout, seulement parce que quelques beaux-parleurs essaient de s’emparer de
votre capacité de jugement.
Ne vous laissez pas
faire, mais ne refusez pas que la science puisse faire son travail. Les progrès
scientifiques sont indispensables. Ce qui est bon aujourd’hui sera mauvais
demain, et inversement.
Seuls le progrès technique et la science sont à même de
nous donner les outils nécessaires au progrès de l’humanité.
Ne laissez pas que
quelques illuminés à l’esprit tordu bloquent ce processus indispensable. Une
civilisation qui n’avance plus s’éteint inéluctablement.
Je vous invite à lire
le court ouvrage suivant, en anglais, sur ce sujet : « The Great
Apple Scare : Alar, 20 years later » de William P. Kucewicz, publié
en 2009 par l’ACSH /American Council on Science and Health (Conseil Américain
de la Science et la Santé), et disponible gratuitement sur internet sur le lien
suivant http://es.scribd.com/doc/37161176/The-Great-Apple-Scare-Alar-20-Years-Later
« La peur du cancer, au début de 1989, a poussé des
millions de consommateurs à travers le pays à cesser d'acheter et de manger des
pommes et des produits issus de la pomme. La crainte était que les pommes
avaient été traitées avec un produit chimique cancérigène. Les enfants, en
particulier, paraissaient être une population à haut risque. (Rosen 1990,
Sewell 1989). L'affaire reste à ce jour l'un des meilleurs exemples de comment
une combinaison d’écologistes, de "l'intérêt public", d’avocats, de
publicistes et de membres influents des médias, peut imposer une alarme de
santé bidon auprès d’un public involontaire.
Aujourd’hui, pour le vingtième anniversaire de "la Grande
Panique de la Pomme", l'American Council on Science and Health (ACSH) souhaite
rappeler les événements qui ont conduit à l'hystérie de masse autour des pommes,
et explorer certaines de ses nombreuses ramifications, dans l'espoir d’éviter à
l’avenir une autre crise fabriquée de toutes pièces pour tromper un public trop
crédule. »
Vous pouvez aussi voir
la vidéo suivante du ACSH: