AGROÉCOLOGIE – LES MODÈLES MATHÉMATIQUES
Dans un article publié en mai dernier dans
Agropalca, une revue agricole des Iles Canaries, Ginés de Haro, agronome et
conseiller agricole spécialisé dans la culture du bananier, présentait un
intéressant article sur l’élaboration d’un modèle mathématique destiné à
réaliser une prévision de récolte fiable en culture de banane dans les
conditions très variables des Iles Canaries.
Photo: http://www.infonortedigital.com/portada/images/noticias/Canarias2015/canarias2016/plataneras.jpg
Vous ne le savez peut-être pas, mais
l’agriculture utilise au quotidien un grand nombre de modèles mathématiques,
qui lui permettent d’améliorer constamment les résultats agronomiques, avec un
impact environnemental toujours plus réduit et des coûts de production
contenus.
Pourquoi
l’agriculture a-t-elle besoin de modèles mathématiques ?
Pour répondre au besoin permanent de
s’adapter aux cycles biologiques, des plantes et des animaux, des cultures et
de l’environnement, des parasites et de leurs prédateurs, qui peuvent être très
variables. Les variations climatiques sont un des facteurs clé de variabilité, ainsi
que la diversité des conditions de culture (espèces, variétés, méthode de
culture, types de sol, types d’irrigation, altitude, pente et orientation,
configuration géographique, etc.).
Or les plantes et les animaux vont réagir
d’une manière relativement homogène, malgré des conditions très variables. C’est
cette homogénéité de réaction et de comportement que les modèles mathématiques
cherchent à mettre en évidence, à mesurer, et à anticiper.
On pourra prévoir les comportements dans
toutes les situations, si on sait mettre toutes les conditions variables en
comparaison les unes avec les autres. Les modèles mathématiques sont un des
moyens les plus efficaces pour prédire les cycles agricoles et biologiques.
Ils permettent en particulier d'anticiper
les développements des insectes ou de beaucoup de maladies, de prévoir les
besoins des plantes, leurs cycles, les dates de floraison, leurs adaptations
climatiques.
C’est par exemple grâce à la mise au point
d’un modèle mathématique spécifique que les autorités sanitaires peuvent
prévenir les nuages de sauterelles en Afrique, et ainsi éviter ou réduire les
famines qu’ils peuvent provoquer.
Photo: http://www.scidev.net/objects_store/thumbnail/4E6020899E91132C60690CE6CCFD3FFE.jpg
Sur
quoi se basent les modèles mathématiques adaptés à l’agriculture?
Ils se basent le plus souvent sur les enregistrements
climatiques, qui sont des informations fiables, faciles à rassembler et à
traiter, qui vont servir d'élément de référence, et sur des observations
biologiques comme le cycle des plantes ou l'évolution des populations
d'insectes nuisibles et de leurs prédateurs.
La mise en comparaison de ces deux
catégories d’éléments, et l’accumulation de références des années précédentes
permet, d’une part d’établir les corrélations, et d’autre part de les confirmer
et de les affiner année après année. Ce travail sur le long terme permet
d’établir la fiabilité du modèle et d’en déterminer les marges de sécurité.
Une fois les modèles phytosanitaires mis au
point, ils permettent aux agriculteurs d'anticiper les dégâts de ravageurs ou
de maladies, grâce à des actions spécifiques ou des traitements curatifs dans
certains cas, préventifs dans d’autres, placés au moment idéal, ou à mettre en
place les méthodes de surveillance ou de prophylaxie.
Prenons un exemple très commun, qui est
aussi l’un des premiers modèles fiables établis en production fruitière. Il
s’agit de la table de Mills, publiée en 1944, modifiée depuis par plusieurs
équipes scientifiques. La mise au point de ce modèle permit, à l’époque de sa
divulgation, une réduction drastique du nombre de traitements contre la
tavelure, combinée avec une augmentation énorme de l'efficacité de la
protection, ce qui lui donna une très grande popularité chez les professionnels
de la production de pommes et poires.
La tavelure est un champignon qui se
développe après la pluie. Or certaines pluies provoquent des contaminations, et
d’autres non, et leur gravité est variable. D’autre part, la protection contre
la tavelure est essentiellement préventive, puisque les taches, une fois
visibles, sont presque impossibles à arrêter, exigent une grande quantité de
traitements pour éviter qu’elles ne s’aggravent, et provoquent une grave
dépréciation du fruit.
Photo: http://www.omafra.gov.on.ca/english/crops/facts/apscabf6.jpg
Que peut faire l’agriculteur pour éviter
les dégâts ?
Il doit traiter avant de voir les taches.
Mais là encore rien n’est simple.
La pluie a-t-elle été contaminante ?
Un simple brouillard peut-il provoquer des dégâts ?
Dans quel délai après la pluie dois-je
intervenir pour éviter les dégâts ?
Au bout de combien de temps les taches
vont-elle apparaitre ?
L’agriculteur pourrait par exemple décider
de traiter une fois par semaine, quoi qu’il arrive, pour ne pas se compliquer
la vie. Il devrait donc traiter très fréquemment, sans forcément obtenir une
efficacité suffisante, et avec un coût environnemental et économique
exorbitant.
Il a donc la solution d’utiliser les
modèles mathématiques comme la table de Mills ou un des modèles plus modernes.
Il lui suffit d’être équipé d'un humectomêtre, qui mesure la durée de
l’humectation des feuilles, et d’un thermomètre enregistreur, équipements
faciles à trouver et abordables, ou plus simplement d’être abonné à une des
stations agroclimatiques spécialisées de sa région.
Toujours est-il qu’il aura ainsi, en temps
réel, les informations fiables concernant les risques. Ces informations lui
permettront de prendre la décision la plus adéquate sur le besoin de traiter et
sur la gravité de la contamination, donc également sur les types de produits à
utiliser.
L’agriculteur, qu’il fasse de la production
biologique, conventionnelle ou intégrée, utilise les mêmes références et les
mêmes méthodes. Seule change la liste des pesticides utilisables dans chaque
situation.
Le système marche aussi à l'inverse, c'est
à dire en mettant en relation le cycle de la culture avec les conditions
climatiques, afin de déterminer les périodes de sensibilité à certains problèmes
sanitaires ou physiologiques, et d’agir en conséquence.
Ginés de Haro nous explique :
"Nous
avons pris différentes altitudes au-dessus de la mer et orientations (des
fermes au nord, d'autres au sud) (...)
Nous
pouvons tirer quelques conclusions du modèle. Comme on pouvait s'y attendre,
les cycles sont directement liés avec l'altitude au-dessus du niveau de la mer
(puisque la température baisse au fur et à mesure qu'on s'élève), mais
l'orientation a aussi une influence. Par exemple une ferme à 45 mètres à
Fuencaliente a un cycle de deux semaines plus court qu'une ferme à Galdar, à 16
mètres, quelle que soit l'époque".
Dans le cas des Canaries, c’est
particulièrement important, dans la mesure où ce sont des iles, assez éloignées
les unes des autres, variées et montagneuses, sur lesquelles les facteurs de
variabilité sont énormes, et malgré cela, le modèle permet de faire des
prévisions fiables dans toutes les situations.
Image: http://www.agrometeo.fr/img/Tavelure_automne.jpg
L’utilisation des mathématiques en
agriculture est même un défi d’avenir, car l’agriculture de précision, concept
récent qui veut optimiser la production agricole par la précision des
techniques mises en œuvre, est une voie incontournable pour l’avenir de
l’humanité. Cette agriculture de précision passe, entre autres choses, par la
modélisation d’un grand nombre de concepts, afin de rendre prévisible tout
l’aspect actuellement imprévisible de l’agriculture, c’est-à-dire l’influence
des conditions climatiques variables sur les êtres vivants.
Voyez ce qui s’est produit cette année un
peu partout en Europe. Des conditions climatiques anormales ont gravement
perturbé les récoltes de nombreuses cultures. Les céréaliers français ont été
fortement touchés par ces perturbations.
Mais ils reconnaissent s’être laissé
surprendre. À la fin du mois de juin, le blé avait une densité apparente
normale, les plantes étaient belles. Personne n’imaginait que les épis étaient
si peu remplis.
C’est ce genre de problème qu’il est
important d’apprendre à éviter, ou au moins à gérer.
L’agriculteur, un peu par culture, un peu
par la force des choses, vit souvent au jour le jour, et l’anticipation des
phénomènes à venir est parfois difficile.
L’utilisation des modèles peut être une
grande aide à l’optimisation du travail.
L’apparition des nouvelles technologies en
agriculture a été l’occasion de développer des modèles mathématiques adaptés.
Par exemple, l’imagerie satellite, combinée avec les coordonnées GPS,
l’invention de nouveaux capteurs et l’adaptation des équipements a permis une
réduction de 5% des apports de fertilisants, parfois plus cas. http://www.agronewscastillayleon.com/el-uso-de-nuevas-tecnologias-como-el-gps-permite-ahorrar-hasta-un-5-en-fertilizantes
Comment ? L’imagerie satellite fournit
un état de l’homogénéité du champ, soit par une simple image, soit par
colorimétrie (intensité de la photosynthèse), soit par imagerie thermique
(température de la feuille, donc capacité de la plante à réguler sa propre
température). Ces images sont révélatrices de l’état de santé et d’homogénéité
de la culture, et permettent, grâce à des modèles mathématiques adaptés,
d’ajuster exactement la dose d’engrais à chaque secteur de la parcelle. Ces technologies
sont également utilisables pour les applications ciblées de pesticides, pour
les semis précis, et sont en cours d’étude pour l’irrigation.
Photo: http://geovantage.com/app/uploads/2013/04/Sample1_20100709_NDVI-1024x653.jpg
En
quoi les modèles mathématiques ont-ils un important rôle à jouer pour le développement
de l'agroécologie?
Un des fondements de l'agroécologie est
l'agriculture, donc la production d'aliments et de matières premières
renouvelables pour les besoins humains. L'objectif est de minimiser l'impact
négatif sur l'environnement d’une agriculture qui doit être toujours plus productive
afin de couvrir les besoins de la population. Ces besoins augmentent avec
l’augmentation de la population, et avec l’amélioration des conditions de vie
des populations les plus pauvres. Mais il est indispensable de ne pas augmenter
la surface agricole, afin de ne pas accentuer la perte de biodiversité, et de
ne pas exacerber l’impact environnemental négatif de l’augmentation de
population.
Les modèles mathématiques ont pour objectif
final d’optimiser la production agricole, d’en réduire l’impact sur
l’environnement, mais également de réduire le gaspillage alimentaire, au moins
pour la part importante qui se produit au champ.
La plupart des modèles existant ont été orientés
vers l'optimisation agronomique des cultures, ou pour l'optimisation des
interventions culturales et phytosanitaires.
L’environnement est un système très complexe,
sur lequel toute action humaine a un impact, plus ou moins fort, plus ou moins
perturbateur, plus ou moins négatif. Il est évident que l’agriculture fait partie
des activités humaines dont l’impact environnemental est important. Encore
faut-il pouvoir le mesurer. L’agriculteur travaille dans un objectif de
production, le mieux qu’il peut, mais souvent sans avoir les moyens de mesurer
ou estimer les répercussions environnementales de son travail.
Il est désormais important que des équipes
scientifiques se préoccupent d'élaborer des modèles, destinés aux agriculteurs,
qui mettent en relation les actions agronomiques avec leurs effets
environnementaux. C’est encore le point faible du système agricole.
Les calculs d’empreinte eau ou d’empreinte
carbone sont un premier pas, mais ils sont extrêmement complexes, lents et
couteux, exigent généralement de faire appel à des spécialistes, et ne donnent
pas de solution concrète à l’agriculteur dans ses pratiques quotidiennes. C’est
juste un indice pour mesurer une situation concrète à un moment concret. Ceci
explique que très peu d’agriculteurs s’y soient lancés réellement.
Les agriculteurs ont besoins de systèmes
rapides et simples, qu’ils puissent implanter eux-mêmes sur leur propre ferme, et
qui les aide à travailler de manière plus efficiente.
Photo: http://asi.ucdavis.edu/programs/sarep/research-initiatives/are/files/AREbannerimage.png
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