INTEMPÉRIES – ANNUS HORRIBILIS
Allez, une petite dernière sur les
intempéries pour cette campagne 2015-2016, en forme de bilan d'une année
improbable, incroyable, horrible, pendant laquelle mon niveau de stress a sans
doute largement dépassé les normes légales, en supposant qu'elles existent.
L'automne végétatif, ici, dure en gros de
mi-octobre à fin novembre. Cette année 2015-2016, les températures sont
élevées, et les pluies absentes. Les plantes ont du mal à finir leur cycle et à
s'arrêter. Le raccourcissement des jours les aide, mais la chute naturelle des
feuilles ne se produit pas.
La seule solution pour l'agriculteur, est
d'appliquer un défoliant pour aider les arbres à entrer en dormance. Sinon les
perturbations physiologiques seront énormes et le débourrement (le réveil
végétatif en sortie d’hiver), au printemps, sera totalement anarchique.
C'est une défoliation douce, à base de
sulfate de cuivre ou de sulfate de zinc faiblement dosés, afin d'éviter un
stress brutal, et de permettre à l'arbre de faire migrer tous les éléments
nutritifs vers le bois pour y accumuler des réserves, dont il aura fortement
besoin au printemps (jusqu'à la fin de floraison, l'arbre fonctionne presque
exclusivement en consommant ses réserves, et ce n'est qu'après fleur que
l'absorption racinaire prend le relai). Les défoliations trop brutales et
rapides provoquent un stress violent, et épuisent la plante.
Malgré ça, nous sommes obligés de commencer
la taille d'hiver avec beaucoup de feuilles. Le travail est plus lent, et moins
bien fait, car les feuilles perturbent la vision du travail à faire.
L'hiver, de fin novembre à fin janvier, est
encore très doux et très sec. Au total, il nous manque 70% de la pluviométrie
normale, et également 70% du froid normal. C'est une situation très curieuse et
totalement anormale.
En principe, le manque de froid coïncide
avec les années très humides. La couverture nuageuse, et l'humidité ambiante
créée par les pluies, empêchent le refroidissement nocturne, donc
l'accumulation des heures de froid.
Cette année, nous combinons un ciel clair,
presque sans nuage, et des températures très douces. Une étonnante anomalie.
Les floraisons commencent avec 2 semaines d'avance,
mais de manière très échelonnée (à cause du manque de froid) avec les premières
pleines floraisons (quand 70% des fleurs sont ouvertes) à partir du 10 janvier.
Les floraisons échelonnées nous provoqueront différents problèmes au printemps,
nous le savons, mais n'y pouvons rien et sommes incapables de les prévoir, tant
dans leur nature que dans leur gravité.
Le printemps va alterner les situations
perturbatrices. D'abord, des gelées de printemps, entre le 17 février et le 13
mars, 8 nuits d'alerte, et beaucoup de matins froids. Le froid que nous n'avons
pas eu pendant l'hiver, arrive tard, avec son cortège de problèmes et de
dégâts. Mais durant ces 4 semaines, entre les coups de froid, viennent aussi
quelques coups de chaud, habituels ici au printemps. Ces alternances de chaud
et de froid perturbent sérieusement les plantes.
En fait, c'est la première fois, au moins
depuis 1974 (première année d’enregistrements climatologiques sur notre ferme
principale), que se combinent une même année, un hiver à manque de froid et des
gelées de printemps.
Avec la mi-avril arrivent les premiers
fruits, avec un temps magnifique. Nos principales régions concurrentes ont
également beaucoup souffert des gelées de printemps, et verront leur début de
saison très perturbé et retardé. L'Andalousie occidentale est donc la seule
région européenne à produire à cette époque, et la concurrence du Nord de
l'Afrique est presque inexistante, à cause des mêmes problèmes climatiques, en
situation encore plus extrême. La saison est donc pleine de promesses malgré
les difficultés initiales.
Mais c'est compter sans les caprices de la
météo. A commencer par un simple manque de lumière prolongé, provoqué par un
temps couvert, à peine quelques jours après notre début de campagne. Les taux
de sucre, un des points faibles habituels de la production de fruits
ultra-précoces, sont anormalement bas et nos clients, malgré le manque de
fruits, sont peu demandeurs.
En plus, nous commençons à apercevoir les
premières conséquences des perturbations climatiques. Beaucoup de fruits
mollissent par le mucron (cicatrice pistillaire, à l'opposé du pédoncule). Le
fruit est encore vert, il lui manque encore plusieurs jours avant sa maturité
physiologique, mais pourtant la pointe devient totalement molle. C'est un
phénomène provoqué par une déficience en calcium, due à une mauvaise
assimilation de cet élément essentiel dans la constitution des cellules du
fruit. La génétique des variétés a une part de responsabilité, mais le problème
est aggravé par les printemps froids, pendant lesquels les racines fonctionnent
mal car le sol est trop froid.
Si nous n'anticipons pas la récolte, nous
perdrons la quasi-totalité des fruits. Nous sommes donc contraints de cueillir
des fruits pas assez murs, pas assez colorés, pas assez sucrés, pas
aromatiques, et petits, et en plus très fragiles. La situation se dégrade dès
le début. Nous déchantons déjà. Nous sommes seuls sur le marché, mais nous
rencontrons de graves difficultés pour vendre un produit très loin de notre
standard de qualité.
Mais dans les régions vers lesquelles nous envoyons habituellement nos fruits (France, Allemagne, Suisse, Belgique, Hollande, etc.), c'est une puissante et durable vague de froid qui s'installe, avec même de la neige. Or, comme je vous l'expliquais dans un article précédent, la pêche et la nectarine sont des fruits d'été, qui se consomment s'il fait beau. Les printemps habituels, sans être forcément beaux et chauds en Europe du Nord, sont suffisamment cléments pour que ces fruits se consomment avec une certaine régularité. Mais sous la neige, c'est une autre histoire...
Photo: http://www.vindepropriete.com/wp-content/uploads/Gel-01-Lemaire.jpg
Heureusement, le temps s'améliore enfin.
Nous arrivons à la fin avril, puis au début mai. Les indicateurs de qualité
s'améliorent grandement, mais les problèmes de pointes molles perdurent. Nos
concurrents de la région souffrent des mêmes difficultés. C'est rassurant, dans
la mesure où ça nous confirme que nous n'avons pas commis d'erreur technique
grave. Nous subissons, tous en cœur, les conséquences d'une climatologie
particulièrement atypique et adverse.
Le marché se récupère peu à peu, mais nos
problèmes de qualité nous ferment l'accès à certaines destinations exigeantes,
que nous servons habituellement.
Malheureusement, dès le 5 mai, s'installe
sur l'Europe une perturbation particulièrement agressive. Chez nous, elle
laisse 10 jours de pluies quotidiennes et abondantes, transformant nos vergers
en pataugeoire, rendant la récolte particulièrement pénible, et provoquant un
nouvel effondrement de nos critères de qualité.
Nous nous retrouvons donc avec des fruits
de qualité médiocre, que nous essayons de vendre dans des régions qui n'en
achèteraient de toute manière pas, même s'ils étaient très bons, parce que le
climat n'incite pas à leur consommation.
Nos chambres froides se remplissent
inexorablement, puisque nous devons récolter plus que ce que nous sommes
capables de vendre.
Arrive alors le moment difficile où il est
préférable de jeter au verger les fruits non conformes, car les taux de fruits
non commercialisables atteignent des sommets. C'est déprimant.
Il semble même que nos concurrents
choisissent d'abandonner des parcelles sans les cueillir, c'est vous dire la
situation!
Nous n’en sommes pas arrivés à ces
extrémités, mais je ne sais pas si ce n’est pas eux qui ont raison !
Il nous faudra du temps pour retrouver un
niveau de qualité correct.
La pluie s'arrête enfin, le ciel se dégage,
et nous retrouvons, en quelques jours, un climat assez habituel. Jusqu'au 13
mai, les températures maxi se maintiennent en-dessous de 20 degrés avec de la
pluie tous les jours. A partir du 16 mai, nous sommes tous les jours entre 32
et 34 degrés.
Les arbres ont bien du mal à supporter ces changements brusques,
alors qu'ils supportent la récolte. Les sols sont encore saturés d'eau. La
maturation devient très anarchique, totalement hors de contrôle.
Les critères de récolte, normalement
établis d'un jour sur l'autre, doivent être modifiés tous les jours, parfois
plusieurs fois au cours de la journée. Aucune prévision n'est fiable.
L'incertitude du verger se transmet automatiquement au département commercial,
incapable d'organiser les ventes à l'avance, donc condamné à subir les caprices
du marché, sans avoir les moyens de défendre notre produit.
La campagne se poursuit sur ce même rythme
chaotique. Le 25 juin, un bonheur n'arrivant jamais seul, un incident
électrique provoque un incendie dans une chambre froide. Les dégâts restent
limités à une seule chambre, heureusement assez peu remplie, mais de fruits
déjà emballés, prêts à être expédiés. Mais nous n'avions pas vraiment besoin de
ça...
La campagne se termine de manière agonique,
avec des petites quantités des variétés tardives, physiologiquement très
perturbées. Le manque de froid de l’hiver se traduit, pour les variétés aux
besoins les plus élevés, par un début tardif, et une durée anormalement longue.
Notre campagne de fruits, qui aurait dû se terminer vers le 20 juin, s’éternise
jusqu’au 5 juillet, avec des températures supérieures à 40 degrés et des fruits
qui évoluent lentement, mais toujours aussi fragiles.
C'est assez curieux de constater que tous
les phénomènes que nous avons connu cette année ont déjà été vécus auparavant,
le manque de froid, l'hiver sec, les gelées de printemps, le manque de lumière,
les pluies du mois de mai, le mauvais temps en destination, les coups de
chaleur en récolte, les campagnes qui s'éternisent, même les incendies en chambre
froide.
Mais jamais nous n'avions accumulé, en une
seule campagne, autant de conditions adverses.
Le résultat économique définitif ne sera
connu qu'en septembre, une fois que tous les envois auront été payés et les
litiges, anormalement nombreux cette année, auront été résolus.
Mais je sais déjà qu'il sera mauvais, l'une
des pires campagnes qu'ait connues l'entreprise depuis qu'elle a commencé son
activité, il y a plus de 45 ans. C'est dire.
Une année à oublier, malgré les cicatrices
qu'elle laissera.
Mais une année qui, si nous savons en tirer
toutes les leçons, nous permettra une profonde remise en question de nombreux
aspects, ce qui devrait nous apporter beaucoup pour le fonctionnement dans les
prochaines années.
A toute chose malheur est bon...
Elles ne sont pas si mauvaises, nos nectarines !!!
Pour plus de détails sur les différents
types d'intempéries, vous pouvez relire les articles suivants:
Concernant le manque de froid
Concernant les gelées de printemps
Et aussi
Concernant le manque de lumière
Concernant la pluie durant la récolte
Concernant les coups de chaleur
Concernant le mauvais temps en destination
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