mardi 1 mai 2018

129- Naturel vs synthétique -7- Bilanophos vs Glufosinate


BILANAPHOS VS GLUFOSINATE

Il y a environ 2 ans, je publiais un article sur cette même comparaison, mais sous un angle différent (http://culturagriculture.blogspot.com.es/2016/01/66-protection-des-plantes-4-aux.html).

Il me parait intéressant de le reprendre sous l’angle de l’opposition entre naturel et synthétique. Nous avons vu dans des articles antérieurs que cette différenciation est parfois à la limite du raisonnable. Cet exemple le démontre une fois de plus.

Cette fois, il s’agit d’un herbicide. C’est d’autant plus intéressant que le problème de la maitrise des herbes nuisibles aux cultures est une des grandes difficultés de l’agriculture biologique.
Je n’aime pas la dénomination « mauvaises herbes », car ces plantes ne sont pas mauvaises, elles ont juste le tort de pousser là où l’agriculteur ne veut pas qu’elles se trouvent, et où elles peuvent nuire à la culture.



« Comment produire un herbicide naturel par Andrew Kniss* (6 janvier 2016)


Il y a plus d'un an, j'ai produit un article sur un herbicide « maison » à base de sel, de vinaigre et de savon à vaisselle.

« Beaucoup d'entre vous l'ont probablement vu affiché sur Facebook, Twitter, Pinterest, ou sur votre site de jardinage préféré. Une de mes descriptions préférées l'appelle une "potion herbicide magique, naturelle". »

Cette potion particulière tue certainement les mauvaises herbes, mais elle n'est pas naturelle (et elle n'est certainement pas sans produits chimiques). Elle contient du savon à vaisselle et du vinaigre, les deux étant synthétisés industriellement ; elle n'est donc pas naturelle au sens de la plupart des définitions du mot. C'est décevant, parce que les gens rêvent vraiment d'un désherbant naturel. Ils veulent détruire les mauvaises herbes autour de leur maison et dans leur jardin, mais ils n'aiment pas l'idée d'utiliser un pesticide de synthèse. La plupart des gens (moi y compris) préféreraient utiliser quelque chose de naturel, toutes autres choses étant égales par ailleurs. Malheureusement, il y a très peu de produits vraiment naturels qui sont des herbicides efficaces.

Cela étant dit, je tiens à vous présenter une substance chimique fascinante dénommée bilanaphos. Au début des années 1970, le bilanaphos a été découvert de façon indépendante par deux laboratoires différents, l'un en Allemagne et l'autre au Japon. Les deux groupes ont isolé cette substance chimique à partir de bactéries Streptomyces : S. viridochromogenes en Allemagne, et S. hygroscopicus pour le groupe japonais. Le bilanaphos est produit naturellement par ces bactéries naturelles. Donc, au sens d'à peu près toutes les définitions, le bilanaphos est naturel.

Les scientifiques d'Allemagne et du Japon ont très tôt trouvé que le bilanaphos avait des propriétés herbicides fortes ; quand il était appliqué sur les plantes, celles-ci mourraient. Après une étude plus approfondie, les scientifiques du groupe allemand ont déterminé que seule une partie de la substance chimique bilanaphos complète était nécessaire pour l'activité herbicide. En fait, lorsque le bilanaphos pénètre dans la plante, environ la moitié de la molécule est rapidement coupée, ce qui laisse subsister une petite molécule – la phosphinothricine. C'est cette molécule plus petite qui joue le rôle de l'herbicide dans la plante.

Lorsque la substance naturelle bilanaphos (à gauche) entre dans la cellule de la plante, la plante supprime deux résidus alanine, laissant subsister la phosphinothricine (à droite). La phosphinothricine a une activité herbicide dans la plupart des plantes, en inhibant l'enzyme glutamine synthétase.



Nous avons donc une substance naturelle (bilanaphos) qui est convertie naturellement par les plantes en une autre substance (la phosphinothricine) qui agit très efficacement comme un herbicide. Et il se trouve que certaines espèces de Streptomyces produisent aussi naturellement une petite quantité de phosphinothricine. Cela ressemble beaucoup à un herbicide naturel, non ? Pas si vite…

La phosphinothricine (mieux connue aux États-Unis comme glufosinate [en France, glufosinate ammonium]) est largement utilisée aujourd'hui comme herbicide. Elle est la matière active des herbicides comme Rely (principalement utilisé dans les vergers et les vignes aux États-Unis) et Liberty (le plus souvent utilisé en conjonction avec les cultures Liberty Link), [et Basta en France]. Mais même si le produit chimique se trouve à l'état naturel et a été découvert par extraction à partir de bactéries d'origine naturelle, l'herbicide commercial est produit par voie de synthèse. Donc, on ne le considère pas comme un herbicide « naturel ».

L'histoire de la phosphinothricine, bien que très intéressante, n'est pas unique. Un grand nombre de scientifiques du monde entier explorent la nature à la recherche de nouveaux produits chimiques qui ont des propriétés utiles, antibiotiques, pesticides ou autres. Les scientifiques de l'USDA estiment qu'entre 1997 et 2010, environ 69% des nouvelles matières actives de pesticides enregistrées par l'EPA étaient soit des produits naturels, soit des produits de synthèse dérivés de sources naturelles (comme la phosphinothricine) ou de nature biologique. Par exemple, un autre herbicide couramment utilisé sur le maïs a été découvert après une première observation du fait que peu de plantes pouvaient pousser sous un buisson de Callistemon dans un jardin. Mais les herbicides constituent en fait la fraction la plus petite (moins de 7%) de ces nouveaux pesticides d'origine naturelle ; environ 30% des matières actives des nouveaux insecticides et fongicides sont soit des substances naturelles, soit des substances dérivées de produits naturels.


Actuellement, la FDA a du mal à définir le mot «naturel» sur les étiquettes alimentaires. C'est un terme de marketing souvent utilisé sans définition claire. Il peut être encore plus difficile à définir en relation avec les pesticides. Comme le montre l'exemple de la phosphinothricine, les limites entre le naturel et le synthétique peuvent rapidement devenir floues. Est-ce naturel parce que ça se trouve dans la nature ? Ou faut-il extraire la substance physiquement de la nature pour pouvoir être considéré comme naturel ?

La distinction « naturel ou non » peut nous distraire de ce qui est vraiment important dans le débat sur les pesticides. Si la substance est structurellement la même, le produit d'origine naturelle et les versions produites par synthèse partageront les mêmes propriétés. Les propriétés de la substance sont beaucoup plus importantes, à mon avis, que la source de la substance. Le pesticide est-il sans danger pour les applicateurs et l'environnement ? Est-il dégradé rapidement dans l'environnement en produits non toxiques ? Si oui, alors je me préoccupe bien moins de savoir s'il est naturel ou non, quelle que soit notre définition de « naturel ».

Mais il y a des questions liées à la source du produit qui peuvent être importantes. En particulier, lequel a l'impact le plus important : la synthèse dans un laboratoire ou l'extraction à partir de sources naturelles ? J'entends rarement des discussions sur cette question, bien que ce soit là l'une des questions les plus importantes liées aux produits naturels (à condition qu'ils soient considérés comme sûrs). Si nous pouvons extraire efficacement une ressource renouvelable de la nature, et éviter les dépenses liées à l'énergie et aux combustibles fossiles de la production par voie de synthèse, alors un composé produit naturellement me semble être plutôt une bonne chose. Mais si extraire quelque chose de la nature signifie que nous aurons un plus grand impact négatif sur l'environnement que la production en usine, alors, s'il vous plaît, donnez-moi la version de synthèse.


Références :

Hoerlein (1994) Glufosinate (Phosphinothricin), A Natural Amino Acid with Unexpected Herbicidal Properties. p 73-145 in  Reviews of Environmental Contamination and Toxicology (Vol 138)

Dayan et al. (2011) Rationale for a natural products approach to herbicide discovery. Pest Management Science. 68:519–528

Cantrell et al. (2012) Natural Products as Sources for New Pesticides. Journal of Natural Products. 75:1231-1242.

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* M. Andrew Kniss est Professeur d'écologie et de gestion des mauvaises herbes à l'Université du Wyoming. »


L’idéologie de l’agriculture biologique oblige à n’utiliser que des pesticides d’origine naturelle. Pourtant des dérogations existent, en fonction des possibilités de certaines molécules, de la manière de les utiliser, ou des besoins des agriculteurs qui parfois justifient des entorses soigneusement gardées sous silence, au moins vis-à-vis des consommateurs.

On a parfois du mal à comprendre pourquoi certaines molécules, produites de manière totalement industrielle (comme la deltaméthrine qui est un pyréthroïde de synthèse) sont acceptées en bio. D’autres, tout à fait comparables dans leur processus de fabrication, tout en étant de simples copies de molécules d’origine naturelle, ne le sont pas, comme c’est le cas de l’azadirachtine, naturellement produite par l’arbre de neem, et principale molécule active de tous les pesticides bio à base d’huile de neem.
Par contre, les phéromones utilisées en agriculture biologique, comme en conventionnelle, sont des produits de fabrication 100% synthétique, qui sont des copies des phéromones naturellement émises par les insectes. Là il n’y a pas de problème. Il est vrai que ces produits ne sont pas pulvérisés sur les cultures. Mais ils flottent dans l’air jour et nuit durant des mois, et se déposent forcément sur les produits qui seront des aliments.
On peut également se demander par exemple, pourquoi le spinosad, produit naturellement par des bactéries (Saccharopolyspora spinosa), et fabriqué à grande échelle par un processus entièrement industrialisé, est autorisé en agriculture biologique, mais le bilanophos également produit naturellement par des bactéries (du genre Streptomyces) ne l’est pas ?


Car finalement, que manque-t-il à l’agriculture biologique pour qu’elle se généralise ?
Des outils, des solutions techniques pour résoudre des problèmes concrets, en particulier au niveau de la protection phytosanitaire.
La plupart des autres problèmes ont des solutions cohérentes (avec un bémol tout de même sur les aspects nutritionnels, qui progressent cependant rapidement), et même souvent d’un coût très raisonnable.
Mais on constate que, s’il est sûr que les conversions à l’agriculture biologique sont de plus en plus nombreuses (rarement par conviction personnelle, mais davantage à cause de la pression sociétale, ou par opportunisme économique), les retours en arrière sont aussi de plus en plus fréquents. La principale cause évoquée par ces agriculteurs sont les problèmes phytosanitaires non résolus qui s’accompagnent de baisses sensibles de rendements ou de baisse de qualité, et au final d’un problème sérieux de revenu pour l’agriculteur.

Car l’augmentation de l’offre de produits bio et leur démocratisation s’accompagnent d’un effet pervers, au demeurant tout à fait prévisible, qui est la baisse des prix, pas forcément à la consommation, mais à l’agriculteur.
Qui dit baisse des prix, dit aussi baisse de revenu, et obligation d’améliorer la qualité (visuelle), donc augmentation du coût de production réel. Car s’il est vrai que la production biologique n’a pas l’obligation de respecter les mêmes critères de normalisation de qualité des aliments que l’agriculture conventionnelle, la réalité évolue petit à petit et les circuits de mise en marché exigent de plus en plus un produit bio et beau à la fois.
Une sorte de retour de bâton qui pourrait être largement évité si on autorisait l’utilisation en agriculture biologique des toujours plus nombreux pesticides synthétiques « copiés de la nature ».

La raison gagnera-t-elle un jour la partie sur le dogme ?


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