L’ESPRIT DES PLANTES – LEÇONS DE VIE D’UN ARBRE À ENCENS
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J’ai trouvé cet article, d’abord publié en
anglais, puis en espagnol, sur un blog en espagnol et en anglais que j’aime beaucoup
« Imaginando vegetales » (Imaginant les végétaux), et que je
recommande à tous ceux qui aiment les plantes, la poésie, l’imagination et les
« histoires de personnes et de plantes ».
C’est une belle et surprenante histoire
pour ces fêtes de fin d’année.
La traduction est faite à partir de la
version espagnole, enrichie de quelques compléments par l’auteur, par rapport à
la version anglaise.
Comme le recommande Aina S. Erice, l’auteur,
vous pouvez la lire « Au son de Jocelyn
Pook, Caótica Ana BSO
Texte
d’Aina S. Erice, Images de Aina S. Erice, 17 juillet 2016
Supposez
un instant que les Indiens Upanisads aient raison, et que dans votre prochaine
vie vous puissiez vous réincarner en arbre. Lequel choisiriez-vous ?
Ce
n’est pas une mince décision, si on tient compte de la longévité potentielle
des arbres. Vous pourriez tout d’abord réfléchir sur les qualités intrinsèques
de votre future version photosynthétique (grand et bien planté ? ou plus
humble en forme et en stature ? avec ou sans fleurs ? et ainsi de
suite…), ou vous pourriez choisir en fonction de votre futur voisinage.
Où préfèreriez-vous
vivre ? dans une forêt tropicale, ou plutôt tempérée… Et pourquoi ne pas
vous installer dans un désert ?
Je
sais, je sais. La description du voisinage n’est pas très affriolante. Des
températures extrêmes toute l’année, faim et soif fréquentes. Forte pression
d’herbivores affamés. Longues périodes de silence et de solitude probables.
Tendances érémitiques conseillées : compagnie rare et rude.
Sans
doute pas l’option la plus attirante.
Pourtant,
tout le monde n’a pas toujours le loisir de choisir, ou en tout cas c’est ce
que nous raconte le poète romain Ovide dans ses « Métamorphoses ». Dans
ses histoires de « corps revêtus de formes nouvelles » par les dieux,
se couvrir d’écorce et de feuilles et souvent le résultat d’une tragédie.
Violence, inceste, trahison, amour, perte… les dieux capricieux font des
ravages avec les faiblesses humaines, même s’ils dépendent de nous pour que
nous les vénérions. Qui honorerait leurs autels avec de l’encens, à part les
humains ?
Les
choses étant ce qu’elles sont, il n’est pas très surprenant que l’origine
mythique des parfums désirés par les dieux soit entourée de souffrance. Il se
trouve que les jeunes filles dont les corps métamorphosés distillent les
parfums les plus précieux se sont transformées en arbres du désert.
https://imaginandovegetales.files.wordpress.com/2016/12/leucotoe-helios.jpeg?w=350&h=293
Ainsi
le poète Ovide chante que la pauvre Leucothoé, princesse d’un lointain royaume
oriental, dont la beauté a tant captivé le dieu Soleil, qu’il l’éblouit
littéralement jusqu’à la séduire. Le roi, comme le font souvent les parents
compréhensifs lorsqu’ils découvrent ce genre de peccadilles, la punit en
l’enterrant vivante. Alors l’amant inconsolable (et curieusement impuissant),
arrosa la tombe de nectar parfumé, qui imprégna le corps de la jeune fille jusqu’à
la faire repousser sous une nouvelle forme.
Et
la légende veut que l’arbre résultant, d’arôme agréable et inondé de soleil
soit l’arbre à encens, Boswellia sacra, également connu sous le nom d’arbre
d’oliban.
Ovide
n’avait jamais vu l’arbre à encens pousser dans son milieu naturel. De fait
aucun de ses contemporains ne semblait avoir la moindre idée de l’aspect d’un
arbre pourtant mythique.
Son
histoire métamorphique contait les mésaventures d’une jeune fille, de la
souffrance distillée jusqu’à se convertir en un parfum digne de devenir une
offrande divine.
Et
bien que les arbres à encens ne souffrent pas, à n’en pas douter ils doivent
supporter bon nombre de difficultés, puisqu’ils vivent dans des contrées à
peine touchées par la pluie, dans des sols pauvres et sous une chaleur
écrasante. Être un arbre enraciné dans l’ancienne Arabia Felix (Oman, Yemen) ou
dans la Corne de l’Afrique ne doit pas procurer une vie facile.
Si
j’étais à la place de Leucothoé, je crois que je serais pas mal énervée («
Comme si ça ne suffisait pas qu’on m’ait enterrée vivante et convertie en une
plante, non. En plus il faut que je vive en plein désert ? Vous êtes
sérieux ? »)
https://imaginandovegetales.files.wordpress.com/2016/09/olibanum-map-signed.jpg
Pour
parler scientifiquement, il est clair que nous ne pouvons pas nous transformer
en plantes, ni même imaginer ce que signifie être une plante : il nous est
impossible de nous figurer comment un arbre à encens ressent la soif.
La
science ne pourra jamais nous dire si les plantes du désert « souffrent subjectivement »
d’un plus grand stress que leurs copines de la forêt.
Cependant
la poésie et la métaphore ne sont pas aussi pointilleuses que la science, et
nous permettent parfois de trouver dans le règne végétal un miroir vert dans
lequel refléter nos idées, concepts et même dilemmes et leçons de vie… Et c’est
ce qui arrive avec l’arbre à encens.
Déjà
au temps d’Ovide, tout le monde savait parfaitement que les grains d’encens ne
sont pas tous identiques : ils peuvent varier en couleur, en taille, en
profil aromatique… bref, sa qualité est variable. Le moment de sa récolte peut
affecter le résultat (on dit que le meilleur se récolte durant la saison de la
mousson, quand la chaleur est la plus forte), mais il y a aussi des différences
entre arbres poussant dans des lieux différents.
On
pourrait argumenter que la qualité est un concept très glissant (il l’est), et
que parfois les différences existent uniquement dans notre esprit et nos sens
(c’est aussi vrai). De fait, une des plus grandes surprises pour le système
traditionnel Omani de gradation de l’encens, a probablement dû être de
découvrir que les huiles essentielles de leurs encens de première et de moindre
qualité ont des profils chimiques pratiquement identiques.
https://imaginandovegetales.files.wordpress.com/2015/12/olibanum-onfire-striscia.jpg?w=1000&h=236
Cependant,
acceptons un instant que les différences de qualité sont objectivement
réelles ; nous pourrions alors nous demander, pourquoi de telles
différences ? Est-ce dû aux qualités intrinsèques de l’arbre, ou est-ce à
cause de ses conditions environnementales ?
Il
y a quinze ans, une étude tenta de répondre à cette question… et les résultats
ressemblent à un curieux clin d’œil à Ovide et à ses tragiques jeunes filles.
En comparant des ambiances distinctes – certaines plus stressantes, d’autres
moins -, les chercheurs découvrirent que les arbres qui produisent l’encens de
meilleure qualité sont ceux qui vivent dans les conditions les plus dures, aves
les sols les plus pauvres et sans recevoir aucune pluie (c’est tout juste s’ils
reçoivent la rosée de la mousson !).
Poétiquement
on dirait que les difficultés et les restrictions sont sublimées et condensées
en un parfum plus exquis que celui qu’on obtient en prenant soin et en irrigant
les arbres avec de l’eau et des nutriments.
Pour
sûr, les arbres ne sont pas des personnes.
Et
pourtant, on pourrait extraire une morale encensée qui me parait de
circonstances…
On
pourrait conter comment l’adversité et les circonstances les plus difficiles
peuvent être le ciseau qui, en éliminant le superflu, révèle l’essence, les
qualités les plus capiteuses de la personne.
Bien
sûr ce n’est pas toujours comme ça.
Mais
si vous pensez à votre prochaine vie comme plante, je vous suggère de
considérer le désert comme un bon endroit pour pouvoir exprimer le meilleur de
vous-même.
REFERENCES
Il
y’en a peu :
Le
mythe de Leucothoé dans les Métamorphoses d’Ovide peut être lu
librement ici.
L’article
qui analysait les corrélations entre les conditions ambiantes et la qualité de l’encens obtenu est : Al-Amri,
M. y Cookson, P. ‘A preliminary nutritional explanation for variations in resin
quality from wild frankincense (Boswellia sacra) trees in the Dhofar region of
the Sultanate of Oman’, en Horst, W. J. et al. 2001. Plant nutrition – Food
security and sustainability of agro-ecosystems: 328~329.
A
propos de l’encens dans toute sa splendeur, j’ai une série de trois articles
sur cette fascinante substance végétale, qui peuvent être consultés ici en espagnol,
et chaque article peut y être lu aussi en anglais.
Illustrations
La
photographie de tête de l’article es un magnifique arbre de Boswellia sacra
dans le parc omani de Wadi Dawkah, courtoisie de Kathi Ewen du blog wanderingquilter.
Il
est frustrant de trouver aussi peu de peintures de Leucothoé (il y en a plus de
la troisième de la discorde du mythe, Clytie… mais de la pauvre Leucothoé,
presque rien). Une d’elles est l’œuvre que j’inclus ici, du français Antoine
Boizot, et actuellement au Musée des Beaux-Arts de Tours (au moins, selon
Wikipedia). D’autres images et gravures peuvent être consultées ici
(explications en italien).
Les
autres photographies sont personnelles. »
Une remarque pour conclure l’article et lui
donner une logique dans ce blog :
En agriculture, on connait bien les effets
des restrictions sur la qualité des fruits et légumes.
C’est ainsi que les meilleurs melons
s’obtiennent sur les terres les plus argileuses, dans lesquelles les plantes
souffrent davantage. L’agriculteur choisit, dans les terres dont il dispose,
celles qui lui donneront la meilleure qualité.
De même, les vignes ne sont pas ou peu
irriguées et peu fertilisées afin de concentrer les sucres et les arômes. Le
vin obtenu n’en sera que meilleur.
Même la production sous serre, dans
laquelle la plante, en théorie, est placée en situation de confort total et
permanent, connait bien le problème. C’est ainsi que la tomate RAF est une
variété sélectionnée pour ses qualités intrinsèques, mais qui, en fin de cycle
de culture, est placée en situation de stress, grâce à une salinisation
artificielle du milieu nutritionnel. La plante, stressée, absorbe peu d’eau et
de nutriments, et concentre les sucres et les arômes.
En production fruitière par exemple, on
connait aussi les bienfaits d’une restriction hydrique quelques jours avant la
récolte afin de concentrer les sucres et les arômes, pour augmenter la qualité
gustative.
A l’inverse, tout agriculteur sait aussi
qu’un épisode de pluie abondante juste avant la récolte peut provoquer une
chute brutale de tous les critères de qualité, et éventuellement annuler tous
les efforts réalisés, comme par exemple la restriction hydrique.
Mais l’agriculteur sait aussi que dans la
plupart des cas, rechercher la meilleure qualité va au détriment de la
productivité. Tout dépendra donc de son système de commercialisation et des
objectifs qu’il se sera fixés. Tout l’art de l’agriculteur est de réussir à
combiner la meilleure qualité possible avec une productivité qui lui permette
de vivre dignement de son travail.
Ces techniques, complexes doivent être
maniées avec précautions, car ces stress provoqués, s’ils sont mal maitrisés,
peuvent avoir de graves conséquences sur la santé des plantes qui ne sont pas,
au contraire de l’arbre à encens, des plantes conçues pour vivre dans le
désert.
https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjKJpRjG-K5SgzuWW-84PNuc-ly0gv_OnvWZS5bNiMzgJCmXvhjtQZ_xgZrD92hwxlsYxaFG5ed0XXIlUYbwrmzF_VBb39hTJm4FLknXU87P23szy5nCm45VNo4QYDDnFpzyu5xWegzupc/s1600/Boswellia+sacra+resinas+liquida+y+solida.jpg
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