samedi 24 décembre 2016

95- L'esprit des plantes -7- Leçons de vie d'un arbre à encens

L’ESPRIT DES PLANTES – LEÇONS DE VIE D’UN ARBRE À ENCENS

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J’ai trouvé cet article, d’abord publié en anglais, puis en espagnol, sur un blog en espagnol et en anglais que j’aime beaucoup « Imaginando vegetales » (Imaginant les végétaux), et que je recommande à tous ceux qui aiment les plantes, la poésie, l’imagination et les « histoires de personnes et de plantes ».
C’est une belle et surprenante histoire pour ces fêtes de fin d’année.
La traduction est faite à partir de la version espagnole, enrichie de quelques compléments par l’auteur, par rapport à la version anglaise.
Comme le recommande Aina S. Erice, l’auteur, vous pouvez la lire « Au son de Jocelyn Pook, Caótica Ana BSO

Texte d’Aina S. Erice, Images de Aina S. Erice, 17 juillet 2016



Supposez un instant que les Indiens Upanisads aient raison, et que dans votre prochaine vie vous puissiez vous réincarner en arbre. Lequel choisiriez-vous ?

Ce n’est pas une mince décision, si on tient compte de la longévité potentielle des arbres. Vous pourriez tout d’abord réfléchir sur les qualités intrinsèques de votre future version photosynthétique (grand et bien planté ? ou plus humble en forme et en stature ? avec ou sans fleurs ? et ainsi de suite…), ou vous pourriez choisir en fonction de votre futur voisinage.

Où préfèreriez-vous vivre ? dans une forêt tropicale, ou plutôt tempérée… Et pourquoi ne pas vous installer dans un désert ?

Je sais, je sais. La description du voisinage n’est pas très affriolante. Des températures extrêmes toute l’année, faim et soif fréquentes. Forte pression d’herbivores affamés. Longues périodes de silence et de solitude probables. Tendances érémitiques conseillées : compagnie rare et rude.

Sans doute pas l’option la plus attirante.

Pourtant, tout le monde n’a pas toujours le loisir de choisir, ou en tout cas c’est ce que nous raconte le poète romain Ovide dans ses « Métamorphoses ». Dans ses histoires de « corps revêtus de formes nouvelles » par les dieux, se couvrir d’écorce et de feuilles et souvent le résultat d’une tragédie. Violence, inceste, trahison, amour, perte… les dieux capricieux font des ravages avec les faiblesses humaines, même s’ils dépendent de nous pour que nous les vénérions. Qui honorerait leurs autels avec de l’encens, à part les humains ?

Les choses étant ce qu’elles sont, il n’est pas très surprenant que l’origine mythique des parfums désirés par les dieux soit entourée de souffrance. Il se trouve que les jeunes filles dont les corps métamorphosés distillent les parfums les plus précieux se sont transformées en arbres du désert.

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Ainsi le poète Ovide chante que la pauvre Leucothoé, princesse d’un lointain royaume oriental, dont la beauté a tant captivé le dieu Soleil, qu’il l’éblouit littéralement jusqu’à la séduire. Le roi, comme le font souvent les parents compréhensifs lorsqu’ils découvrent ce genre de peccadilles, la punit en l’enterrant vivante. Alors l’amant inconsolable (et curieusement impuissant), arrosa la tombe de nectar parfumé, qui imprégna le corps de la jeune fille jusqu’à la faire repousser sous une nouvelle forme.

Et la légende veut que l’arbre résultant, d’arôme agréable et inondé de soleil soit l’arbre à encens, Boswellia sacra, également connu sous le nom d’arbre d’oliban.

Ovide n’avait jamais vu l’arbre à encens pousser dans son milieu naturel. De fait aucun de ses contemporains ne semblait avoir la moindre idée de l’aspect d’un arbre pourtant mythique.
Son histoire métamorphique contait les mésaventures d’une jeune fille, de la souffrance distillée jusqu’à se convertir en un parfum digne de devenir une offrande divine.

Et bien que les arbres à encens ne souffrent pas, à n’en pas douter ils doivent supporter bon nombre de difficultés, puisqu’ils vivent dans des contrées à peine touchées par la pluie, dans des sols pauvres et sous une chaleur écrasante. Être un arbre enraciné dans l’ancienne Arabia Felix (Oman, Yemen) ou dans la Corne de l’Afrique ne doit pas procurer une vie facile.
Si j’étais à la place de Leucothoé, je crois que je serais pas mal énervée (« Comme si ça ne suffisait pas qu’on m’ait enterrée vivante et convertie en une plante, non. En plus il faut que je vive en plein désert ? Vous êtes sérieux ? »)

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Pour parler scientifiquement, il est clair que nous ne pouvons pas nous transformer en plantes, ni même imaginer ce que signifie être une plante : il nous est impossible de nous figurer comment un arbre à encens ressent la soif.
La science ne pourra jamais nous dire si les plantes du désert « souffrent subjectivement » d’un plus grand stress que leurs copines de la forêt.

Cependant la poésie et la métaphore ne sont pas aussi pointilleuses que la science, et nous permettent parfois de trouver dans le règne végétal un miroir vert dans lequel refléter nos idées, concepts et même dilemmes et leçons de vie… Et c’est ce qui arrive avec l’arbre à encens.

Déjà au temps d’Ovide, tout le monde savait parfaitement que les grains d’encens ne sont pas tous identiques : ils peuvent varier en couleur, en taille, en profil aromatique… bref, sa qualité est variable. Le moment de sa récolte peut affecter le résultat (on dit que le meilleur se récolte durant la saison de la mousson, quand la chaleur est la plus forte), mais il y a aussi des différences entre arbres poussant dans des lieux différents.

On pourrait argumenter que la qualité est un concept très glissant (il l’est), et que parfois les différences existent uniquement dans notre esprit et nos sens (c’est aussi vrai). De fait, une des plus grandes surprises pour le système traditionnel Omani de gradation de l’encens, a probablement dû être de découvrir que les huiles essentielles de leurs encens de première et de moindre qualité ont des profils chimiques pratiquement identiques.

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Cependant, acceptons un instant que les différences de qualité sont objectivement réelles ; nous pourrions alors nous demander, pourquoi de telles différences ? Est-ce dû aux qualités intrinsèques de l’arbre, ou est-ce à cause de ses conditions environnementales ?

Il y a quinze ans, une étude tenta de répondre à cette question… et les résultats ressemblent à un curieux clin d’œil à Ovide et à ses tragiques jeunes filles. En comparant des ambiances distinctes – certaines plus stressantes, d’autres moins -, les chercheurs découvrirent que les arbres qui produisent l’encens de meilleure qualité sont ceux qui vivent dans les conditions les plus dures, aves les sols les plus pauvres et sans recevoir aucune pluie (c’est tout juste s’ils reçoivent la rosée de la mousson !).

Poétiquement on dirait que les difficultés et les restrictions sont sublimées et condensées en un parfum plus exquis que celui qu’on obtient en prenant soin et en irrigant les arbres avec de l’eau et des nutriments.

Pour sûr, les arbres ne sont pas des personnes.

Et pourtant, on pourrait extraire une morale encensée qui me parait de circonstances…

On pourrait conter comment l’adversité et les circonstances les plus difficiles peuvent être le ciseau qui, en éliminant le superflu, révèle l’essence, les qualités les plus capiteuses de la personne.

Bien sûr ce n’est pas toujours comme ça.

Mais si vous pensez à votre prochaine vie comme plante, je vous suggère de considérer le désert comme un bon endroit pour pouvoir exprimer le meilleur de vous-même.



REFERENCES

Il y’en a peu :

Le mythe de Leucothoé dans les Métamorphoses d’Ovide peut être lu librement ici.

L’article qui analysait les corrélations entre les conditions ambiantes  et la qualité de l’encens obtenu est : Al-Amri, M. y Cookson, P. ‘A preliminary nutritional explanation for variations in resin quality from wild frankincense (Boswellia sacra) trees in the Dhofar region of the Sultanate of Oman’, en Horst, W. J. et al. 2001. Plant nutrition – Food security and sustainability of agro-ecosystems: 328~329.

A propos de l’encens dans toute sa splendeur, j’ai une série de trois articles sur cette fascinante substance végétale, qui peuvent être consultés ici en espagnol, et chaque article peut y être lu aussi en anglais.

Illustrations

La photographie de tête de l’article es un magnifique arbre de Boswellia sacra dans le parc omani de Wadi Dawkah, courtoisie de Kathi Ewen du blog wanderingquilter.

Il est frustrant de trouver aussi peu de peintures de Leucothoé (il y en a plus de la troisième de la discorde du mythe, Clytie… mais de la pauvre Leucothoé, presque rien). Une d’elles est l’œuvre que j’inclus ici, du français Antoine Boizot, et actuellement au Musée des Beaux-Arts de Tours (au moins, selon Wikipedia). D’autres images et gravures peuvent être consultées ici (explications en italien).

Les autres photographies sont personnelles. »




Une remarque pour conclure l’article et lui donner une logique dans ce blog :

En agriculture, on connait bien les effets des restrictions sur la qualité des fruits et légumes.

C’est ainsi que les meilleurs melons s’obtiennent sur les terres les plus argileuses, dans lesquelles les plantes souffrent davantage. L’agriculteur choisit, dans les terres dont il dispose, celles qui lui donneront la meilleure qualité.

De même, les vignes ne sont pas ou peu irriguées et peu fertilisées afin de concentrer les sucres et les arômes. Le vin obtenu n’en sera que meilleur.

Même la production sous serre, dans laquelle la plante, en théorie, est placée en situation de confort total et permanent, connait bien le problème. C’est ainsi que la tomate RAF est une variété sélectionnée pour ses qualités intrinsèques, mais qui, en fin de cycle de culture, est placée en situation de stress, grâce à une salinisation artificielle du milieu nutritionnel. La plante, stressée, absorbe peu d’eau et de nutriments, et concentre les sucres et les arômes.

En production fruitière par exemple, on connait aussi les bienfaits d’une restriction hydrique quelques jours avant la récolte afin de concentrer les sucres et les arômes, pour augmenter la qualité gustative.

A l’inverse, tout agriculteur sait aussi qu’un épisode de pluie abondante juste avant la récolte peut provoquer une chute brutale de tous les critères de qualité, et éventuellement annuler tous les efforts réalisés, comme par exemple la restriction hydrique.

Mais l’agriculteur sait aussi que dans la plupart des cas, rechercher la meilleure qualité va au détriment de la productivité. Tout dépendra donc de son système de commercialisation et des objectifs qu’il se sera fixés. Tout l’art de l’agriculteur est de réussir à combiner la meilleure qualité possible avec une productivité qui lui permette de vivre dignement de son travail.


Ces techniques, complexes doivent être maniées avec précautions, car ces stress provoqués, s’ils sont mal maitrisés, peuvent avoir de graves conséquences sur la santé des plantes qui ne sont pas, au contraire de l’arbre à encens, des plantes conçues pour vivre dans le désert.

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