QUALITÉ : L'ASPECT
Le premier critère de qualité, quand on parle de produit frais, c’est l’aspect
visuel. Vous n’êtes pas d’accord ? Ça ne me
surprend pas, pourtant vous vous trompez. Je ne dis pas que c’est le critère
principal, mais c’est le premier. Vous allez comprendre.
Autrefois, les produits
frais n'étaient disponibles que sur les marchés et dans les magasins de
quartier. Le vendeur était aussi celui qui conseillait. S'établissait, entre le
consommateur et le vendeur, un dialogue destiné à choisir le meilleur produit
pour un usage donné. Une tomate ne se choisissait pas de la même manière pour
la mettre en salade, la farcir ou en faire une ratatouille. De la même manière,
le dialogue servait à déterminer le moment de la consommation. Si la même
tomate pour la même salade se consomme dans la journée, son point de maturité
ne doit pas être le même que si la salade sera faite trois jours plus tard. Le
vendeur devait connaitre le produit et recommander le plus approprié.
On retrouve encore cette
situation sur les marchés de village ou de quartier, et dans les boutiques spécialisées.
Malheureusement, aujourd’hui, environ les trois-quarts des fruits et légumes
sont achetés sans ce conseil, dans les supermarchés.
A ça,
il faut ajouter qu’une majorité des familles urbaines gardaient des attaches
fortes à la campagne, par leurs parents ou grands-parents. Cette culture des
produits frais était entretenue par cette relation. Le lien avec la campagne
était fort. Ce n’est encore le cas que pour une frange toujours plus étroite de
la population, au moins dans les pays industrialisés.
C’est
qu’il faut se rendre à l'évidence. Les habitudes de vie ont beaucoup changé
depuis 50 ans. C'est une question de temps, de facilité, et de priorités.
Beaucoup de gens préfèrent faire leurs courses rapidement, et garder du temps
disponible pour faire du sport, aller au cinéma ou sortir avec des amis. Ils
vont donc au supermarché, qui leur offre ces avantages, mais ils doivent se
servir seuls, sans conseil.
La
plupart des consommateurs ne savent pas choisir les produits. Cette culture,
transmise en général de mère en fille, qui consistait à connaitre les aliments,
à les choisir, à les conserver et à les cuisiner, s'est perdue dans la majorité
des familles. Les femmes qui travaillent sont la majorité. Elles sont donc des
mères de familles très occupées, qui ne veulent pas consacrer leur peu de temps
disponible à des activités domestiques.
L'aspect
visuel des produits est donc devenu le premier critère de choix. C'est par le
regard que le produit est sélectionné.
Les
supermarchés ont bien compris cette évolution et présentent le plus souvent des
produits beaux.
La
sélection variétale des fruits et légumes a consacré beaucoup de ressources à
améliorer l'aspect visuel des produits, parfois aux dépends du goût. De même,
beaucoup de fruits bicolores, par définition irréguliers en couleur, ont évolué
vers une coloration rouge toujours plus intense et uniforme. Un bon exemple est
celui de la pomme Gala, fruit doux très apprécié, qui a évolué depuis les
années 80, d'une coloration rouge-rosé sur environ 20 à 30% de sa surface, à un
rouge intense sur plus de 75% de sa surface (appelée désormais Royal Gala),
voire un rouge presque total, mais toujours strié.
La variété Royal Gala. C'est le mème fruit, seule la couleur change.
La variété Gala originale
Mais
qu'est-ce qu'un produit beau?
Les
critères d'esthétique sont spécifiques à chaque produit. Il est évident qu'une
pomme de premier choix ne peut pas ressembler à une laitue de premier choix.
Donc voici une petite liste
de critères qui définissent l'aspect du produit:
- La
propreté. Ça peut vous paraitre bizarre de commencer par ça, mais c'est en
effet le premier point. Presque tous les produits frais passent par une phase
de lavage, destinée à retirer toutes les poussières et les impuretés qu'ils
peuvent porter. Les cas les plus évidents sont les légumes qui poussent sous
terre, pomme de terre, carottes, radis, navets, patates douces, raves, etc.
Mais les autres produits sont aussi lavés pour en retirer la poussière ou la
terre (une récolte manuelle sous la pluie peut laisser des traces de boue qu'il
faut enlever), pour des questions d'hygiène (les eaux de lavages sont généralement
traitées au chlore, l’eau de javel, ou au peroxyde d’hydrogène, l’eau
oxygénée), de manière à éliminer les risques fongiques (pourritures en
conservation) ou bactériologiques (risques de contamination sanitaire).
- La
forme. Chaque produit a ses propres caractéristiques, mais elles doivent être
conformes avec ce que le consommateur en attend. La normalisation a permis de
définir ces critères. A l'intérieur d'un même produit, les variétés peuvent
avoir des caractéristiques différentes de forme, comme c'est le cas chez les
tomates. Le consommateur doit être capable de reconnaitre le produit au premier
coup d'œil.
- La
couleur. Encore une fois, ça dépend du produit. Les tomates ou les pommes
peuvent avoir une grande diversité de couleurs, en fonction des variétés. Mais
par exemple, une pomme Golden doit varier entre un vert-jaune et un jaune
intense, avec éventuellement une face légèrement colorées de rouge clair non
strié (le blush). Par contre une Granny Smith doit être d'un vert intense, sans
blush. Une Royal Gala sera rouge intense sur environ 75% de sa surface, et
striée, etc.
- Le brillant, la luminosité. C'est un critère un peu plus subjectif,
mais un aspect brillant est associé à une idée de fraicheur par les
consommateurs. C'est d'ailleurs vrai dans la majorité des cas, puisque qu'un
produit vieillissant se déshydrate et perd son brillant. Pour cette raison, certains
produits peuvent être brossés, pour augmenter leur brillance, voire même cirés
(avec des cires végétales comestibles, dont l'usage est très strictement
règlementé).
- La turgescence. Elle aussi associée (avec raison) à la fraicheur. Un
produit déshydraté, flétri, laisse supposer qu'il attend un acheteur depuis
trop longtemps, et qu'il ne sera probablement pas bon (ce qui peut être
totalement faux). Une laitue déshydratée aura les feuilles molles, alors que le
consommateur en attend qu'elle soit croquante.
- L'aspect du pédoncule. Le pédoncule est la queue de la pomme ou de la
cerise, l'étoile des oranges, bref le reste du point d'attache du fruit sur la
plante. S'il est noirâtre, flétri, détaché, ça laisse supposer que le produit a
été cueilli depuis très (trop) longtemps.
- Les
défauts d'aspect. Ce sont des taches dues à des frottements durant la culture,
des cicatrices de grêle ou d'attaques de maladies ou d'insectes, des petites
déformations physiologiques. La normalisation décrit les défauts acceptables et
la surface qu'ils peuvent occuper. Les produits non conformes sont déclassés de
Ière à IIème ou à IIIème catégorie, ou mis au rebut si les défauts sont
excessifs. Le rebut peut signifier l'industrie, pour être transformé en soupe,
purée, compote ou jus, ou encore tout simplement la poubelle
- Les défauts de manipulation. Ils peuvent se produire à n'importe quel
moment entre la récolte et la consommation. Ce sont des traces de doigts trop
serrés sur le fruit fragile, des coups d'ongles trop longs, des chocs en tous
genres. Ils seront aussi des critères de non achat de la part du consommateur
(même quand il a provoqué le défaut lui-même). Pour cette raison les différents
acteurs de la chaine de production et de distribution des aliments frais doivent
être spécialement attentifs à la qualité du travail de manipulation. Pour cette
raison également, il est dommage que de plus en plus de produits soient mis à
la vente en vrac (même s’ils ont été délicatement emballés en alvéoles
individuelles auparavant), et tripotés par de nombreuses mains plus ou moins
délicates (et plus ou moins propres), qui font que les rayons en fin de journée
sont tout, sauf attrayants, et que les produits affectés aient de forte chance
de finir au rebut.
Cette
qualité visuelle va déterminer, pour le producteur, la valeur de règlement de
son travail, puisque la classification du produit en dépend. Sachez que les
différences de prix pour l'agriculteur entre une catégorie I et une catégorie
II vont de 2 à 4 fois, et encore le double pour une catégorie III.
Par
exemple, un produit payé 1 euro à l'agriculteur en catégorie I lui sera payé
entre 25 et 50 centimes en catégorie II et entre 10 et 15 centimes en catégorie
III.
Le
travail pour produire le produit est pratiquement le même. L'agriculteur a donc
tout intérêt, pour pouvoir vivre dignement de son travail, à faire tous les
efforts nécessaires pour faire des produits à l'aspect irréprochable.
La
vente au consommateur dépend aussi de cette qualité visuelle. Tous les maillons
intermédiaires de la chaine alimentaire vont également faire de grands efforts
pour maintenir cette qualité visuelle.
Depuis
quelques mois, un mouvement important se développe pour valoriser les fruits et
légumes "moches". Je vous en ai déjà parlé.
Dans le
fond, c'est très bien, puisque ça fait prendre conscience au consommateur que
l'aspect n'a pas d'influence sur la valeur alimentaire du produit, ni sur sa
qualité gustative.
Du
point de vue de l'agriculteur, ça ne change finalement pas grand-chose puisque,
même si les ventes de produits non normalisés ont augmenté, sa liquidation n'a
pas évolué.
On aurait même pu croire que
ça puisse jouer en sa défaveur, dans la mesure où ces produits moches sont vendus
à la place de produits beaux. En fait l'incidence, à ce jour, en est
négligeable.
L’aspect visuel fait aujourd’hui
l’objet de tous les soins prodigués au produit, depuis le champ jusqu’à l’étalage.
La production bio a échappé
à ce diktat durant des années, mais avec la massification de sa production, l’évolution
est la même, avec une commercialisation plus facile et mieux rémunérée des
produits les plus beaux.
Cependant les autres
critères de qualité, souvent négligés par le passé reprennent un protagonisme
énorme.
Mais c’est
une autre histoire…
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