dimanche 29 mai 2016

79- Agroécologie -2- Le respect

AGROÉCOLOGIE – LE RESPECT

Le mot écologie a été inventé en 1866 par Ernst Haeckel, un biologiste allemand du courant darwiniste. Dans un livre intitulé Morphologie générale des organismes, il définissait ce terme comme « la science qui étudie les interrelations des différents êtres vivants entre eux et avec le monde environnant, c'est-à-dire, dans un sens large, la science des conditions d'existence ».

Donc première chose à retenir de cette définition, c’est que l'écologie est avant tout une science. Plus récemment, le mot a été dévié de son sens pour en faire une idéologie, puis un mouvement politique.
Le terme a donc évolué vers tout ce qui concerne l'environnement, en intégrant, à l’inverse de ce que Haeckel pensait, une opposition entre les activités humaines, et la Nature, comme si les humains n’en faisaient pas partie.
Le mot écologie a été détourné de son sens pour des besoins politiques. Mais c'est une autre histoire...

Il est évident que l'agroécologie spécialise la définition autour des activités agricoles et de la production des aliments et des matières premières d’origine agricole.
L'agroécologie n'est pas une science, mais plutôt une philosophie, un concept, qui cherche à rendre les besoins et les exigences de l'agriculture, compatibles avec l’objectif de durabilité et le respect de l'environnement. Mais elle cherche aussi à intégrer l’agriculture dans la société civile et rurale, afin d’en accentuer la capacité de développement rural durable.

Photo: http://crdp.ac-amiens.fr/idp/idp80/uploads/2012/02/bocagethierachehirson.jpg

Certains ont fait de la protection de l'environnement une croisade, pour laquelle l'agriculture est une cible prioritaire. L'agriculture biologique est devenue, pour eux, la seule voie acceptable. Pourtant, elle est très loin d'être aussi respectueuse de l'environnement et de la santé qu'ils s'acharnent à le faire croire.
A vouloir faire d’un dogme une méthode de production, on se heurte forcément à des difficultés sérieuses, voire à des impasses. Pourtant, grâce à une communication très agressive et dynamique, ce dogme a réussi à se rendre incontournable, en faisant croire qu’il propose des solutions à tous les problèmes. D’une part, ce n’est pas vrai, et d’autre part, bon nombre de ces solutions sont très agressives pour la santé ou l’environnement (usage inconsidéré du cuivre, métal lourd dangereux pour la santé et pour les sols, huile neem perturbateur endocrinien bien connu, pyrèthre naturel très toxique pour la faune aquatique, entre beaucoup d’autres pesticides utilisés en agriculture biologique).
Il sera difficile de revenir en arrière sur cette perception faussée, alors qu'on a laissé le champ libre à des personnages devenus publics, grands communicateurs, populistes parmi les meilleurs, qui ont fait d'une certaine vision, pour le moins discutable, de l'agriculture et de l'environnement, leur cheval de bataille et surtout, leur principale source de revenus. C’est le cas, par exemple, de Vani Hari (Food Babe), ou de Claude Bourguignon, parmi beaucoup d’autres.
L'agroécologie va largement dans leur sens, elle va même bien au-delà, les laissant en quelque sorte comme des combattants d'arrière-garde, et elle leur ôte toute raison d'exister. Il est donc probable que, malgré tous les progrès accomplis et à venir, ils continueront à avancer les mêmes arguments, tout en niant les bénéfices réels des évolutions positives, afin de continuer à justifier leur combat, devenu obsolète.

Le respect.
Je choisis de poursuivre cette série par cet aspect qui n'apparaît pas dans les articles ou dossiers concernant l'agroécologie, mais qui est, à mon sens, absolument fondamental.

Si on parle d’agroécologie et de respect, on pensera forcément au bien-être des animaux, au respect des plantes, à la préservation de la biodiversité et de l'environnement, à la conservation des sols, aux précautions concernant les risques de pollution des eaux, aux économies d'eau, etc.
C'est vrai, tout cela doit entrer en ligne de compte, il n'y a aucun doute, c'est même la base du concept.

Pourtant, le limiter à ça, dans l'idée d'en faire un vaste projet de société, comme c'est le cas en France, c'est juste en faire un outil supplémentaire de régulation, de limitation et de contrôle. Si c’est le cas, alors, il faudra l'imposer aux forceps, à base de réprimandes et de pénalisations, donc, en gros, la mayonnaise aura beaucoup de mal à prendre.
En revanche, si on considère la définition de Haeckel de l'écologie, et qu'on considère l'agriculture comme activité productrice d'aliments et de matières premières utilisées dans la plupart des activités humaines, alors on doit voir l'agroécologie comme un vrai projet pour l'ensemble de la société.

L'agroécologie porte en elle une immense cohérence, une logique et une efficacité qui fait que, avant même que des législations adaptées aient été établies, largement plus de la moitié des agriculteurs français ont déjà mis en place des actions spécifiques.

Photo: http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosbiodiv/content/medias/images/normal/Alimd1_20.jpg

Mais pour faire de l'agroécologie un authentique projet de société, la notion de respect doit être inculquée à tous, acteurs directs ou indirects, dans une société moderne qui en manque cruellement.

Nous sommes bien d'accord que l'agriculteur doit y jouer un rôle prépondérant, mais tous les acteurs de la société ont une part à y prendre. Je fais ici référence au fait que l'on parle de production et d'environnement, donc il est impératif d'y inclure les jardins, les balcons, le recyclage, le gaspillage alimentaire, etc.
Quand le gouvernement d'un pays, comme c'est le cas en France actuellement, met l'agroécologie au rang d'objectif national, alors ce sujet devient un objectif sociétal. Même si la démarche, au moins actuellement, est volontaire, l'agroécologie concerne l'ensemble de la société.
Chaque échelon de la société a des droits, mais aussi des devoirs, et parmi ces devoirs, il y a le devoir de respect.
Respect des plantes, des animaux,  des personnes,  des équilibres,  de l'environnement, des sols,  de l'eau, des fournisseurs, des consommateurs, et sans oublier, respect des producteurs, des artisans, des industriels et des agriculteurs.

Quand je parle de respect, concernant consommateurs, fournisseurs ou agriculteurs, je fais référence à beaucoup de petites choses, et en particulier:
-       Les respecter dans les programmes de télévision qui ont trop souvent tendance à présenter les agriculteurs comme des monstres pollueurs empoisonneurs, les fournisseurs comme des exploiteurs et les consommateurs comme des victimes. La liberté de la Presse et la liberté d’expression se sont transformées en liberté d’oppression. Car même les chaines publiques se sont lancées dans ce jeu si dangereux et injuste. Est-ce tolérable dans un des pays fondateurs, et fier de l’être avec raison, des démocraties modernes ? Est-ce acceptable dans un pays qui affiche fièrement sa devise, Liberté, Egalité, Fraternité, mais dont seul le premier semble avoir trouvé grâce, l’égalité et la fraternité ayant été jetées depuis longtemps dans les oubliettes de la politique ?
-       Les respecter dans les politiques de prix. Comment voulez-vous que tout le monde s’implique dans un projet sociétal si chacun de ses membres actifs se sent victime du système ? Les consommateurs sont largement exploités par une politique de prix aberrante et une désinformation soigneusement organisée, les producteurs sont sous-payés par un système qui valorise plus l’administration et les intermédiaires que les producteurs qui assument le travail le plus dur et la plupart des risques.

Ce sont certainement les points les plus graves, qui donnent comme résultat que 14% des agriculteurs français soient prêts à cesser leur activité dans l’année (http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2016/04/20/97002-20160420FILWWW00193-france-14-des-agriculteurs-prets-a-abandonner-dans-l-annee.php), et que les agriculteurs sont une des populations les plus touchées par le suicide (http://www.bfmtv.com/societe/le-tabou-du-suicide-des-agriculteurs-954464.html).
Difficultés financières, solitude, fatigue, sentiment d’être mal considéré, sont des réalités quotidiennes pour beaucoup d’agriculteurs, et proviennent avant tout d’un système social qui ne reconnait plus la valeur de la production.
Ouvrier, artisan, agriculteur, sont devenus des métiers à éviter, au profit de la communication, l’informatique, la santé, le contrôle, la vente et d’autres, tous lucratifs, aucun productif.
Mais qui fait les produits qu’il faut vendre ?
Qui fabrique ?
Qui cultive ?
Qui construit ?

Un tel projet de société n’a aucune chance d’aboutir s’il n’est pas accompagné par une politique de formation/information ciblée sur une réhabilitation des métiers locaux et sur une information claire et transparente de la réalité des choses, sans idéologie ni dogmatisme.

L’idéologie et le dogmatisme, bloquent souvent les solutions les plus respectueuses pour résoudre chaque problème. C’est spécialement vrai en agriculture.
D’une certaine manière, nous devons chercher le retour à la philosophie du chasseur-cueilleur, mais dans une version moderne, productive et respectueuse dans son utilisation de la nature.
Comprenez bien. Il ne s'agit pas de vouloir aller à la chasse pour s'alimenter, ça allait bien quand la Terre était peuplée de 500.000 habitants, vivant tous a la campagne...
La situation a un peu changé. Nous sommes à peine 15.000 fois plus nombreux, et la plus grande partie de la population ne sait pas ce qu'est la campagne, voire en a peur ou en ressent du dégoût.
Pourtant, la philosophie du chasseur-cueilleur a du bon, et au moins certains aspects sont transposables. En particulier le respect. Nous y revenons. Le chasseur-cueilleur ne prélevait que ce dont il avait immédiatement besoin, afin de préserver la ressource et pouvoir continuer à s’en servir.

Photo: http://static.skynetblogs.be/media/132777/busmen.jpg

Ce mode de vie existe toujours parmi certains peuples d’Afrique ou d’Amérique du Sud en particulier, dans des zones isolées, de très faible densité de population.
Notre système économique moderne produit une grande quantité d’aliments ou de matières premières qui sont détruites car non conformes. C’est un manque de respect total envers la Nature et envers ceux qui les produisent.
 
Il est impératif de protéger les cultures contre les bioagresseurs (maladies et ravageurs). C'est également une question de durabilité. Plus on sera capable de produire sur chaque hectare de terre cultivée, moins il faudra d'hectares pour nourrir la population. C'est une question d'équilibre, et également une question environnementale.
Associer la protection de l'environnement à la lutte contre la productivité agricole est une grossière erreur et un effet de populisme de très bas niveau. C'est tout le contraire, en fait. La protection de l’environnement et de la biodiversité passe obligatoirement par une limitation maximale des surfaces consacrées à l’agriculture, donc une limitation maximale de son impact négatif.
Ou alors il faut admettre que la population mondiale est trop nombreuse et qu’il faut tuer beaucoup de gens.
¿Y a-t-il des volontaires ?

Tout ceci ne veut pas dire qu'il faut produire n'importe comment. L'agriculture doit apprendre à produire beaucoup en tirant le meilleur parti des ressources disponibles, sans les épuiser. C'est le grand pari de l'agroécologie.
Il vaut mille fois mieux un produit synthétique respectueux qu'un produit naturel agressif. Si on est capable d'accepter ce principe, qui privilégie les qualités à l'origine, alors on s'approche de la philosophie de l'agroécologie.

Quelqu'un, un jour, devra comprendre que l'agriculture n'est qu'un maillon de la chaine alimentaire et économique.
Mais si ce maillon casse,  c'est toute la chaine qui se disloque.
Les agriculteurs, ainsi que les artisans et les industriels locaux doivent pouvoir vivre dignement de leur travail. C’est une simple question de vision à long terme.
S’ils n’y arrivent pas, ils arrêteront leur activité, ou la délocaliseront, comme nous pouvons l’observer au quotidien dans les pays riches.
Pourtant, les mêmes biens de consommation continueront à être disponibles, mais en provenance de pays tiers, dont les normes environnementales, sociales, sanitaires ou politiques ne sont pas forcément au même niveau.
Est-ce acceptable ?
La politique de l’autruche n’a jamais conduit à rien de bon. Ceux qui actuellement se voilent la face pour ne pas voir cette réalité, sont les grands responsables des catastrophes économiques, sociales, sanitaires et environnementales à venir.

Mais l'agroécologie doit aussi concerner la distribution. Actuellement c’est le maillon central, qui dirige et décide du présent et de l’avenir de la production et de la consommation des biens.
Or les sociétés de distribution sont exclusivement orientées sur le dégagement de résultats financiers confortables pour satisfaire leurs actionnaires. Les envies et besoins des deux extrêmes, le producteur et le consommateur, ne sont analysés que pour en tirer un bénéfice maximum.
Ce manque absolu de respect doit être ciblé comme prioritaire par les instances chargées de la mise en place de l’agroécologie.
Une preuve de ce manque de respect par la distribution ? Carrefour, en France, communique déjà sur l’agroécologie, mais en y introduisant volontairement la confusion. http://www.forumphyto.fr/2016/05/24/carrefour-et-ses-fraises-sans-pesticides-mensonge-par-omission-et-faute-morale/?utm_medium=social&utm_source=linkedin Contrairement à ce que Carrefour prétend, l’agroécologie accepte l’utilisation des pesticides de synthèse, mais en les utilisant selon les méthodes de la protection raisonnée, dont je vous reparlerai dans un futur chapitre.

Photo: http://www.ouestlyonnais.fr/photo/art/grande/6668498-10188808.jpg?v=1402493857

Favoriser une agriculture diversifiée, ouverte, non dogmatique ni idéologique, plurielle pour utiliser un mot à la mode, est le meilleur moyen de faire accepter l’agroécologie par l’ensemble de la société. Pour ce faire, la société civile toute entière doit être informée et sensibilisée aux enjeux, et aux aspects positifs et négatifs, de chaque type d’agriculture.
Rien n’est parfait, toutes les méthodes de production ont des avantages et des défauts. Soyons honnêtes sur ce point crucial. Ici encore, c’est une question de respect.
Les résultats de ce grand mouvement n’en seront que meilleurs.


Il est impératif d’intégrer au projet de développement de l’agroécologie, un important volet de fonctionnement économique, politique et social.
C’est la seule manière d’en faire un authentique projet de société.

2 commentaires:

  1. Nombre de politiciens excellent dans l'exercice de dire ce qu'ils imaginent que le public veut entendre ...
    Et comme ceux que vous appelez les "croisés" sont ceux qui parlent le plus fort, il ne faut pas s'étonner de ce que une discipline scientifique soit détournée et que l'on en arrive où nous sommes avec une doxa "bio, rien que bio", seule clé de sortie de la crise, seule clé de sauvetage de la planète ...
    Question respect, voici ce qui nous attend : http://www.versailles-grignon.inra.fr/Toutes-les-actualites/201605-Alimentation-durable
    Bien à vous.

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  2. Oui, et c'est très hypocrite, de lancer une taxe sur les GES, et en même temps, de souhaiter l'élimination du glyphosate, outil essentiel de l'agriculture de conservation. Le retour au labour va libérer des millions de tonnes de CO2 actuellement emprisonnés dans les sols des parcelles en semis direct.
    Quel incohérence, quel manque de respect !!!!

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