QUALITÉ – LE CONDITIONNEMENT
C'est probablement un des facteurs les
moins importants pour le consommateur, mais c’est pourtant fondamental pour
l'ensemble de la chaine qui conduira l'aliment depuis la ferme jusqu'à sa
table.
Parmi les produits agricoles, les plus
affectés par ce point sont les fruits et légumes.
Le conditionnement, ou emballage, a en fait
de nombreux rôles, tous importants pour quelqu'un, tous contraignants pour
l'agriculteur.
La
sélection
C'est la première épreuve que doit subir l'aliment
au sortir du champ. Il est trié selon plusieurs critères qui sont en général sa
taille (on parle de calibrage, souvent normalisé), sa couleur (selon des
critères établis pour chaque produit, parfois variables selon la destination),
sa qualité visuelle (aspect, esthétique, respect des normes) et son état de
maturité (insuffisant, à point, trop avancé) ou de fraicheur.
Vidéo personnelle: emballage de nectarines
Ces critères vont décider de la
classification du produit en premier choix (ou extra, pour ceux qui le
pratiquent encore), en deuxième choix, parfois en troisième choix, en industrie
(transformation en jus, en concentré, en purée, ou en découpe pour différents
usages dans l’industrie agroalimentaire et la préparation de plats cuisinés), ou
en poubelle.
Ce travail est réalisé dans la station
d'emballage, de manière toujours plus industrialisée afin d'en réduire le cout
et de centraliser des volumes toujours plus importants.
Chaque station d’emballage a sa propre
capacité de travail, adaptée au groupe d'agriculteurs qui lui apportent leur
production, et aux différents produits concernés (il est évident qu’on ne va
pas préparer du melon comme de la cerise ou de la laitue comme de la carotte).
Le tri est généralement réalisé par une
machine, plus ou moins sophistiquée, avec une assistance par des personnes pour
affiner le tri qualitatif, selon des critères fixés pour chaque lot, en
particulier pour ce qui concerne le tri des défauts visuels.
De plus en plus rarement dans les pays
riches, et encore fréquemment dans les pays en développement, la sélection peut
être réalisée entièrement à la main, mais en suivant généralement les mêmes critères
de qualité.
L’agriculteur doit tout faire pour maximiser
la classification en premier choix, qui lui sera nettement mieux payée que les
catégories inférieures. L’industrie et la poubelle ne lui couvrent en général même
pas les coûts de récolte.
Le
contenant
Une fois sélectionné, l'aliment sera placé
dans un contenant, un emballage, qui correspond aux exigences du client. La
diversité des formats est un vrai casse-tête pour la station de conditionnement.
Il y a les caisses de différents formats en
carton, en carton compacté, en bois, en plastique réutilisable ou jetable, les
barquettes (de différents formats, de différentes couleurs, avec ou sans
couvercle, avec ou sans film, avec ou sans filet, avec ou sans poignée), les
alvéoles (en papier, en carton, en plastique, dans tous les calibres), etc.
Pour chaque client, les exigences peuvent
être différentes, avec ses propres marques, ou les marques du producteur. En
plus, un même client peut changer ses formats d’une année sur l’autre, rendant
obsolète et inutilisable le stock restant de l’année d’avant.
Mais la station doit gérer un stock
extrêmement complexe, et onéreux, car les commandes sont en général réalisées
au jour le jour, l’obligeant à disposer en permanence d’un volume de chaque
type d’emballage lui permettant de répondre immédiatement.
Pour nous ici, à Séville, si un client de Frankfort
nous passe sa commande le jeudi d’un camion pour le lundi, nous avons le temps
de la lui préparer et de la lui envoyer. Mais si nous n'avons pas en stock les emballages
nécessaires, nous n'avons pas le temps suffisant pour les commander, et nous
perdons la vente. Car le camion doit arriver le lundi comme prévu. Aucun retard
n'est acceptable. Et il faut en plus compter avec l’interdiction française de
circulation des camions le dimanche et les jours fériés.
Le contenant a bien évidemment une grande importance
marketing, mais c’est aussi, selon les cas, une protection ou une contrainte.
Photo personnelle
Une caisse avec son alvéole protège le
produit, évite qu’il bouge et soit malmené durant le transport, et participe à
la conservation de la qualité du produit jusqu’à sa vente.
En revanche la barquette, selon les
produits qu’elle contient, peut se convertir en une contrainte négative pour la
qualité. C’est vrai pour les produits de grande taille, pas pour les produits
petits, comme les tomates cerises, les framboises, myrtilles, cerises, etc.
Dans le cas de la pêche et de la nectarine, la barquette oblige à y mettre un
fruit très ferme, voire dur. C’est l’inverse de la qualité.
Photo personnelle
Mais certains clients, ou certains marchés (de
plus en plus nombreux) ne jurent plus que par ce format, beaucoup plus commode
pour la vente au consommateur (pas de manipulation, pas de pesée, le prix est
préétabli). Le fruit se transforme alors en un produit totalement industriel,
et la satisfaction du client final n’a plus aucune importance.
Le type d’emballage est d’une importance
extrême pour le canal de commercialisation. Pourtant, dans bien des cas, après
un travail d’emballage difficile, délicat et couteux, les produits sont ensuite
présentés au consommateur en vrac, sortis de leur si cher emballage !!!
L'étiquetage
Ça peut vous paraitre futile, mais c'est un
point essentiel. L'étiquette contient toutes les indications légales
nécessaires (pays d'origine, société qui emballe, caractéristiques du produit,
qualité, calibre). Certains clients exigent qu'y apparaisse leur propre marque,
et même que soit imprimé le code barre qui servira ensuite en magasin.
Ces étiquettes sont imprimées dans la
station d’emballage elle-même. Un local sera habilité pour cela, avec les
imprimantes nécessaires et tout le stock des différents formats d’étiquettes,
sticks et autres éléments ajoutés.
Aucun défaut d'impression n'est tolérable.
Il nous est arrivé de voir un lot important
refusé en destination pour un défaut de l'imprimante, à peine détectable à l'œil
nu: le code barre n'était pas lisible pour les machines. Tout le travail était
parfait, mais l'étiquette n'était pas utilisable en magasin. Pour le client,
c'est un vrai problème, puisqu’il a éliminé le besoin d’étiqueter chez lui, il
n’est donc pas équipé pour rattraper une erreur d’étiquetage.
Photo personnelle
Pour la station d’emballage, une erreur de
ce type peut couter extrêmement cher. Elle a peu de choix. De fait nous avons
dû modifier nos protocoles de contrôle à la suite de cet incident.
Soit elle envoie quelqu’un sur place avec
les étiquettes corrigées, mais elle n’a de toute manière plus la possibilité de
respecter les délais. Le produit n’est pas apte à être vendu dans les délais
accordés.
Soit elle cherche à vendre le lot à quelqu’un
d’autre, mais c’est difficile avec un emballage et un étiquetage prévus pour un
client concret. Au bout du compte, ça sera résolu de toute façon, en général
par un rabais important sur le prix de vente à la station (ensuite généralement
répercuté à l’agriculteur), qui ne sera probablement pas appliqué au
consommateur.
Bref, l’étiquetage est un point important
qui ne supporte pas l’approximation, et encore moins l’erreur.
Et
la qualité dans tout ça?
En fait, on ne parle que de ça.
Mais le produit en lui-même ne compte
pratiquement pas. À partir du moment où il respecte les conditions minimales
exigées (calibre, aspect, sucre, jutosité, couleur, fermeté, fraicheur, etc.),
l'emballage devient plus important.
De la qualité de l'emballage dépend tout le
processus de transport, manutention, stockage et conservation qui va conduire
le produit du champ jusqu'au rayon de vente au consommateur.
La production d'aliments perd petit à petit
son âme sous les coups de plus en plus durs des marchés.
Quand je suis arrivé ici, les clients
venaient visiter les vergers, gouter les fruits sur l'arbre, apprécier au champ
la qualité du travail réalisé.
Aujourd'hui le client, s'il vient (ce qui
est de plus en plus rare), s'intéresse plus à l'emballage, à la traçabilité et
à l'hygiène, qu'au produit en lui-même.
Il vérifie que les cahiers des charges
soient respectés, que les processus d'hygiène et de sécurité soient adéquats,
et que les analyses (bactériologique et de résidus) soient conformes.
Le produit se définit désormais par des
chiffres, des analyses, des résultats de contrôles, des accréditations, une
traçabilité.
Le produit ne se définit désormais, pour la
satisfaction qu’il donne, que par les chiffres de ventes, et dans les émissions
culinaires télévisées.
La production d’aliment se plie peu à peu
aux exigences des marchés, qui tentent de la convertir en un processus
industriel comme n’importe quel autre, dans lequel tout soit prévisible et
prévu, surtout en ce qui concerne la qualité.
La qualité est bien présente, mais dans des
critères souvent difficiles à percevoir et à comprendre pour le consommateur.
Et ce n’est pas l’arrivée d’Amazon sur le
marché des aliments qui va améliorer ça.
L’agriculteur doit se plier aux exigences
des marchés, et seuls ceux qui peuvent vendre sur des circuits courts ont la
possibilité de valoriser une qualité gustative, souvent associée à un niveau de
maturité qui exige une consommation presque immédiate.
Et
le consommateur, lui, souhaite prendre du plaisir à manger, et rêve toujours de
retrouver "les saveurs d'autrefois", même dans les supermarchés, qui
sont pourtant de moins en moins aptes à le leur proposer.
Deux conceptions très différentes
pour un même produit, qui augmentent encore l’incompréhension grandissante
entre le monde rural et le monde urbain.
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