dimanche 26 août 2018

137- Humains et animaux


HUMAINS ET ANIMAUX

De plus en plus de gens, dans les sociétés occidentales, voient l’élevage seulement comme une étape préalable à un grand massacre. On ne fait plus la relation entre l’élevage et l’alimentation, mais entre l’élevage et la mort de l’animal.
Par extension, la consommation de viande est criminalisée, et le consommateur culpabilisé.
L’éleveur est vu comme un monstre qu’on soupçonne de prendre du plaisir à conduire ses animaux à l’abattoir.
C’est en quelque sorte une dérive de la génération Disney, qui souffre profondément de ce que j’appelle le syndrome de Bambi.


On s’apitoie et on pleure sur le sort des animaux qui meurent, que ce soit par la faute des humains, ou pas.
Il me parait très sain de s’interroger sur nos pratiques de superprédateurs et sur nos dérives de consommateurs et de pays riches. Il est de plus en plus évident que les sociétés les plus riches consomment trop de viande, créant un déséquilibre écologique potentiellement très problématique. Par notre culture ancestrale, consommer de la viande est un symbole de richesse, à tel point que lorsqu’une société pauvre accède à un niveau de vie décent, son premier réflexe est de manger la viande fréquemment. De la même manière, dans une société pauvre, la consommation de viande est réservée à des situations de célébrations ou pour honorer un invité.
Mais il me parait aussi très abusif (et même totalement décadent) de mettre sur le même plan la chasse au rhinocéros, l’élevage des poulets en batterie, la corrida, la consommation modérée de viande, la production de miel, l’utilisation des chevaux de trait en biodynamie ou le massacre des bébés phoques.
L’être humain est physiologiquement omnivore et la consommation de viande lui apporte un certain nombre d’éléments nutritifs indispensables qu’on ne peut pas trouver dans les végétaux. Toutes les tentatives pour substituer ces éléments pas des sources végétales ont été des échecs, et même les compléments alimentaires à base de nutriments de synthèse n’ont pas le même niveau d’assimilation.

Or nous en sommes là. Le véganisme reçoit un accueil toujours plus grand et ses abus, proches du terrorisme, sont regardés avec une certaine bienveillance par les gouvernements de tous bords. Nos politiciens sont devenus de purs bureaucrates, beaucoup plus attentifs aux enquêtes d’opinions qu’aux résultats scientifiques, et aux résultats réels des décisions qu’ils prennent (on communique beaucoup sur les décisions prises, on explique longuement ce qu’on en attend, et on laisse aux suivants le soin de gérer les catastrophes collatérales qu’elles provoquent).


La science devient gênante lorsqu’elle ne va pas dans le sens de la pensée politiquement correcte. C’est le cas pour la consommation de viande, comme pour les néonicotinoïdes, le glyphosate ou les OGM.

Nous sommes en pleine décadence médiatique, sociale et politique. Le populisme est au pouvoir, mais pas l’habituel, le vociférant, celui qu’on voit venir. Celui-ci est sournois et discret, pas de discours enflammés, ni de boucs-émissaires évidents. Tout est dans la manipulation de l’information, la parole est prioritairement donnée à l’antiscience, à la peur.
C’est la fin de l’empire scientifique.
Cette décadence et ce refus de la science sont très évidents dans la plupart des gouvernements européens et dans le gouvernement des États-Unis, par exemple.

Début juin, le périodique français L’Express publiait un article qui m’a interpelé, concernant la nouvelle loi française sur l’agriculture et l’alimentation, sous forme d’une entrevue. Je ne reprends pas la première question qui concerne la loi en elle-même, et n’intéresse que les français. Ceux qui veulent lire cette partie peuvent cliquer sur le lien direct vers l’article original.

En revanche, la plus grande partie de l’article concerne la relation des humains avec les animaux, et me semble assez fondamental.
Il s’agit d’une entrevue avec Jocelyne Porcher, éleveuse, sociologue et chercheuse, aux parcours personnel et professionnel assez particuliers.

Article original :
“Loi alimentation: "Pas de progrès pour les animaux"
Par Michel Feltin-Palas, publié le 02 juin 2018

 « Comment une secrétaire parisienne se retrouve-t-elle un beau jour à élever des poules, des brebis et des chèvres dans la région toulousaine ? Au départ, Jocelyne Porcher est une néo-rurale comme une autre, l'une de ces jeunes femmes désireuses de quitter la capitale, son stress et sa pollution, pour se rapprocher de la nature. Elle saute le pas dans les années 1980. La voici dans un village du Sud-Ouest, au contact de paysans respectueux de leur terre. Elle est heureuse.


En 1990, c'est le choc. Elle vient de reprendre des études agricoles et se retrouve dans une porcherie industrielle de Bretagne. Un autre monde : "Moi, j'élevais des animaux car j'aimais leur compagnie. Je veillais à leur bien-être, je m'occupais d'eux, je pensais à eux jour et nuit, j'entretenais avec eux une vraie relation. En Bretagne, ils étaient perçus comme de simples objets, des ressources destinées à produire de la matière animale. Ils étaient frappés, mutilés, insultés. Avec pour une seule finalité : l'argent."

De cette double expérience, elle tire une conviction : les élevages traditionnel et capitaliste sont deux univers que tout oppose, dans leurs pratiques comme dans leurs valeurs. Et elle refuse que le premier, où l'homme vit en symbiose avec ses bêtes, soit balayé par les excès du second. Elle se lance alors dans la recherche, se spécialise dans les relations affectives entre les hommes et les animaux, passe une thèse, est embauchée à l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), publie des livres (1). Un parcours qui lui permet aujourd'hui de dénoncer tout à la fois les dérives de l'agro-industrie et les ultras de la cause animale. Entretien. »

[…]

« Le gouvernement met en avant le doublement des peines pour délit de maltraitance animale et la formation au bien-être animal dans les lycées agricoles. Cela ne va-t-il pas dans le bon sens ? 

Tout texte de loi comprend évidemment quelques mesures positives, mais cela reste une goutte d'eau dans un océan de violence. Pour ma part, il n'y a qu'un article que j'approuve vraiment : c'est l'autorisation d'expérimenter l'abattage mobile, une idée que je défends depuis longtemps avec mon association Quand l'abattoir vient à la ferme. 


Quels seraient les avantages d'une telle solution ? 

Aujourd'hui, les animaux sont poussés de force dans un camion qui les emmène dans un lieu inconnu pour être tués en masse par des hommes qu'ils n'ont jamais vus. L'abattage à la ferme évite ces dérives. C'est un progrès pour les éleveurs, qui peuvent veiller sur leurs animaux de la naissance à la mort ; un progrès pour le consommateur à qui l'on garantit une parfaite traçabilité, et un progrès pour le bétail, à qui l'on évite tout stress et toute souffrance. 

Toute souffrance, vraiment ? 

Oui, dans la mesure où les bêtes sont étourdies et inconscientes au moment où elles sont saignées. Il n'y a ni souffrance physique ni souffrance mentale. 

Curieusement, vous êtes très critique vis-à-vis de l'association L 214, qui contribue elle aussi à dénoncer les conditions d'abattage de l'abattage industriel.

Nous divergeons sur les finalités de l'action. L 214 est abolitionniste : elle milite pour une agriculture sans élevage et une rupture des liens de domestication. Pour ma part, je considère que la domestication est non seulement nécessaire pour l'homme, mais que les animaux de ferme et ceux dits de compagnie y ont eux aussi intérêt.

Comment cela ? 

C'est très simple à comprendre : dans la nature, beaucoup d'animaux auraient une espérance de vie très courte s'ils n'étaient pas défendus par l'homme. Une brebis ou une chèvre isolée dans une montagne devient automatiquement une proie ! Et la vie d'un mouflon dans un territoire où rodent les loups est dominée par l'anxiété. C'est pourquoi, à la période néolithique, voilà environ 10 000 ans, des relations de domestication se sont créées, avec l'accord des espèces concernées. L'homme et la chèvre, l'homme et la vache, l'homme et le cochon, ont noué une alliance et compris qu'ils avaient un intérêt réciproque à vivre ensemble, par un système de dons et de contre-dons.


N'est-ce pas une vision un peu idyllique ? Quand l'homme prend la laine, le lait et la viande d'une brebis, que lui apporte-t-il en échange ? 

La nourriture et la protection. Mais il faut aller plus loin. Cette relation ne se réduit pas à des questions d'intérêts : elle va bien au-delà. En réalité, l'homme a toujours eu besoin de la compagnie des animaux. C'était vrai au temps du néolithique et cela n'a pas changé. C'est pour cela que les éleveurs d'aujourd'hui sont souvent de jeunes urbains qui choisissent ce métier. Et qu'autant de Français possèdent des chats et des chiens. 

Il y a tout de même une grande différence entre les animaux de ferme et les animaux de compagnie : on tue les vaches et les cochons, pas son chat ni son chien ! 

Pourquoi le feraient-ils ? Ils n'ont aucune raison d'agir ainsi dans la mesure où ils gagnent leur vie autrement. Mais mettez-vous à la place d'un berger qui passe toutes ses journées à s'occuper d'un troupeau de vaches. Il faut bien qu'il vende de temps en temps le lait ou la viande de ses bêtes pour se procurer des revenus. 

Vous présentez la situation comme une "alliance" entre l'homme et les animaux. Mais les animaux sont forcés de travailler pour nous.

Mais le travail n'est pas forcément une aliénation. On sait depuis longtemps à quel point il est central dans l'existence humaine. J'ai montré avec mon équipe qu'il peut l'être aussi pour les animaux.

Réellement ?

Observez un chien d'aveugle ou un chien de berger : ne voyez-vous pas à quel point il est heureux de travailler ? Il en va de même pour un cheval ou une vache : tous ces animaux s'investissent dans le travail qui leur est demandé, cherchent à comprendre les exigences de leur maître et, quand ils y parviennent, en tirent une réelle satisfaction.

Les "antispécistes", qui réfutent la supériorité de l'homme sur l'animal, estiment que nous avons pour devoir de changer notre alimentation et de libérer les animaux.

Ils se trompent ! Allez voir les brebis qui vivent entourées de loups dans les Alpes et demandez-vous si elles veulent être "libérées". Ceux qui tiennent ce discours vivent souvent en ville et ont de la nature une image idéalisée et déconnectée des réalités. Ils cherchent en fait à se libérer d'un poids moral et de la culpabilité qu'ils ressentent à voir l'espèce humaine élever et tuer des animaux. Mieux vaut chercher à comprendre ce qui nous relie aux animaux, à améliorer leurs conditions de vie et de mort, plutôt que de se débarrasser du problème, d'autant que l'on ne ferait qu'en créer un autre, encore plus grave.


Lequel ?

Si l'humanité cesse d'élever des animaux domestiques, elle ne cessera pas pour autant de manger de la viande. Donc, elle passera à la viande in vitro, produite à partir de cellules. Tandis que les chiens et les chats, que nous nous sommes soi-disant honteusement appropriés, devront être "libérés" et remplacés par des robots. Ne vous leurrez pas : cela équivaut à un changement historique de paradigme anthropologique. Après avoir vécu avec les animaux domestiques pendant 10 000 ans, l'homme devrait rompre avec eux pour construire à une humanité basée sur l'intelligence artificielle et les biotechnologies alimentaires. C'est sans doute passionnant d'un point de vue intellectuel, mais, de mon point de vue, c'est une perspective effrayante pour notre devenir humain, ou plutôt inhumain. »

(1)  Notamment « Vivre avec les animaux, une utopie pour le XXIème siècle » (La Découverte, 2014). 

1 commentaire:

  1. Quelle horreur, des éleveurs qui espèrent une rentabilité pour leur élevage, dans quel monde vivons nous! Mais manifestement, cette dame a fait le même raisonnement puisqu'elle s'est faite embaucher par L'INRA grace à la sociologie, c'est moins aléatoire que l'élévage à la Martine à la ferme. Encore qu'ici, elle prônerait Martine à l'abattoir de la ferme...

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