A QUI LA FAUTE?
Cet été, pendant mes vacances en France, j’ai été
frappé par les nombreux commentaires et articles publiés, en particulier sur les
réseaux sociaux, à propos des résidus de pesticides interdits en France,
frauduleux, et sur les risques existant sur les produits d’importation.
En cherchant un peu sur les réseaux sociaux, je
me suis rendu compte, par la suite, que le problème existe dans de nombreux
pays européens, où la peur de la concurrence fait dire n’importe quoi pour essayer
de créer une peur chez les consommateurs, de ce qui n’a pas été produit dans
leur propre pays. Il est toujours plus facile
de chercher à justifier ses propres problèmes en accusant le voisin d’en être responsable.
Je veux faire une mise au point (européenne) sur
le sujet, afin que vous sachiez comment ça fonctionne.
Je vous en ai déjà parlé (“11- L’Europe intoxiquée
par les pesticides?” de mars 2014), mais je crois qu’il est bon de revenir sur
le sujet.
En
Europe, même si tout n’est pas parfait, loin de là, beaucoup de choses ont été
harmonisées ou sont en cours d’harmonisation. C’est le cas des normes
concernant les pesticides.
L’autorisation de mise à la vente d’un pesticide dans
l’Union Européenne passe par un processus long et difficile, que l’on peut
résumer ainsi: tout pesticide nouveau ne peut être mis en circulation sans une
inscription préalable sur l’annexe I de la Directive 91/414/CEE.
L’inscription sur cette liste démontre que le
pesticide respecte toutes les normes concernant l’efficacité d’action,
l’inocuité pour les cultures, les effets secondaires à court, moyen et long
terme sur la santé, sur l’environnement, sur les abeilles, la faune et la flore
aquatiques, les animaux à plumes ou à poils, les risques d’accumulation dans le
sol, les risques pour l’air et pour l’eau, les caractéristiques d’élimination
dans la plante, dans le sol, les niveaux de résidus aceptables, les normes de
manipulation, de transport, de stockage et d’utilisation, etc.
Pour obtenir cette inscription, le fabricant doit
présenter un énorme dossier qui sera étudié à fond par une commission
spécialisée qui prendra la décision. Les protocoles sont stricts et la moindre lacune
dans le dossier est sanctionné par un report ou un refus.
Constituer un tel dossier représente, pour le
fabricant, au moins 10 ans de travaux de recherche et d’expérimentation, en
laboratoire d’abord, puis sous serre et enfin au champ, ainsi qu’un énorme
investissement financier.
L’Union Européenne possède les normes environnementales et de sécurité les
plus exigeantes au monde, en ce qui concerne les homologations de pesticides.
L’inscription sur l’annexe I de la Directive 91/414/CEE constitue
l’autorisation légale d’utilisation de chaque pesticide, à l’intérieur de
l’Union Européenne, dans des conditions qui devront être définies à l’échelon national.
Aucun pesticide ne peut être commercialisé légalement sans cette
inscription préalable.
Le même système d’homologation existe aussi (ou
est en cours de mise en place) pour les pesticides bio, les engrais, nutriments
foliaires et les phytofortifiants, bref pour tout ce qui peut entrer au contact
direct ou indirect avec ce qui deviendra un aliment.
Mais chaque fabricant est libre de demander la
commercialisation de ses molécules dans chacun des pays de
l’Union.Concrètement, l’inscription sur l’Annexe I permet la commercialisation
dans les 28 pays de l’Union. Pourtant une molécule peut être autorisée en
Espagne et en Hollande, et pas en France ni en Roumanie, par exemple, car le
fabricant n’aura demandé la mise en circulation que dans ces pays. Les cas de
ce type sont nombreux.
De la même manière, chaque fabricant est libre de
demander l’autorisation de ses produits sur certaines productions, et pas sur
d’autres, dans chaque pays. Pourquoi? Simplement parce que chaque autorisation
sur chaque culture exige, dans chaque pays, un autre dossier, complémentaire du
dossier européen, également long et couteux. En príncipe, le dossier présenté
dans un pays pour un pesticide et sur une culture, peut servir pour la demande
d’homologation du même pesticide, sur la même culture dans un autre pays de
l’Union. Ça facilite les choses mais ça reste tout de même fastidieux et
onéreux. Le fabricant choisit les homologations qu’il va demander en fonction
du marché potentiel, pays par pays.
C’est ainsi qu’un fabricant peut demander
l’autorisation d’un produit sur olivier en Espagne ou en Italie où les surfaces
de la culture sont très importantes, mais pas en France, où la production est
trop faible pour rentabiliser le dossier. De la même manière, un produit
peut-être autorisé, par exemple sur olivier en Espagne mais pas en France, tout
en étant homologué sur pomme de terre en France mais pas en Espagne.
C’est
vraiment complexe, parfois aberrant, souvent difficile à admettre pour les
agriculteurs, mais c’est la réalité.
Et c’est
là qu’il est faut préciser les choses.
Parmi les fraudes aux pesticides, puisque c’est
le point de départ de cet article, il faut distinguer deux cas:
-
Les importations frauduleuses de pesticides en
provenance d’un autre pays de l’Union. Ce cas, de très loin le plus fréquent, constitue
un délit légal, mais ne représente pas un risque pour l’environnement ou la
santé. Ces risques ont été évalués auparavant, lors de l’étude du dossier
d’inscription sur l’annexe I de la Directive 91/414/CEE. Ça reste interdit, mais disons que le risque est
faible.
-
Les importations
frauduleuses de pesticides en provenance de pays non communautaires. Ces cas existent, et sont même de plus en plus
nombreux. C’est en général dû à des
couts inférieurs, ou alors c’est une manière de trouver des molécules qui ont
été interdites au sein de l’Union, durant le processus de mise en conformité
avec la Directive 91/414/CEE, ou encore c’est une manière de se procurer une
nouvelle molécule, disponible dans certains pays, mais pas encore au sein de
l’Union. Là c’est autre chose, puisque de nombreuses molécules anciennes sont
encore autorisées et utilisées dans certains pays. De la même manière, certaines
molécules récentes peuvent avoir été refusées dans l’Union Européenne, ou
n’avoir pas terminé le processus d’évaluation. Dans ce cas, il s’agit d’un
délit légal, et d’une mise en danger de l’environnement, de l’utilisateur et du
consommateur. Le risque est grave. Dans certains cas, les fraudes concernent
des produits homologués, mais fabriqués hors d’Europe, généralement en Chine,
non controlés, parfois dangereux. Voir à ce sujet, la vidéo sur le lien suivant: https://www.youtube.com/watch?v=K_2JkAJC5OM&feature=youtu.be
Donc, quand je vois ou j’entend des commentaires
de mes collègues producteurs français, dans le but de réduire une concurrence
qu’ils jugent déloyale, laisser entendre ou affirmer clairement que les
aliments produits en Espagne sont dangereux car traités frauduleusement avec
des produits interdits, je me dois de protester.
C’est faux et
archi faux.
Il
se peut qu’ils aient été traités avec des produits non autorisés en France,
c’est vrai. Mais ce sont des produits totalement légaux en Espagne, c’est à
dire en Europe, France comprise, meme si leur utilization n’y a pas été
autorisée pour les motifs que j’ai expliqué précédemment. C’est difficile à
accepter dans un marché unique, bien sûr, puisque ça laisse la porte ouverte à
des interprétations et à l’incompréhension. En plus, ça crée inutilement
des différences de compétitivité.
Je peux aussi retourner la remarque. Il y a de
nombreux aliments, importés par l’Espagne depuis la France, qui arrivent en
Espagne avec des résidus de produits non autorisés. Dont l’usage n’est pas
autorisé en Espagne, mais autorisé dans l’Union, et dont les résidus sont donc
légaux. Alors?
Les producteurs français ont tendance à oublier
qu’ils exportent vers l’Espagne presque autant d’aliments que ce qui en est
importé.
Avez-vous déjà entendu parler de plaintes et de
protestations contre les produits français de la part des espagnols? Pourtant, sont-ils toujours parfaits? Non bien
sûr, mais qui s’en soucie?
Les
homologations au niveau national ne répondent qu’à des critères purement
commerciaux, définis par les fabricants.
Tous les
critères de sécurité des pesticides sont strictement identiques dans tous les
pays de l’Union Européenne.
Les problèmes de concurrence interne à l’Union ne
peuvent se régler par des politiques systématiques de dénigrement, comme celles
lancées ces derniers mois en France vis à vis des produits espagnols en
particulier.
Ils existent, c’est clair. Mais ce sont des
problèmes de concurrence essentiellement dus aux énormes différences de coûts
de main-d’oeuvre.
Et
sur ce point, la France a pris une longueur d’avance, avec des coûts qui sont
en train de provoquer la disparition de beaucoup de cultures dont la charge
principale est précisément la main-d’oeuvre. Ces cultures sont délocalisées
vers des pays dont la main d’oeuvre est beaucoup moins chère. Les exemples sont
très nombreux, de délocalisations à l’intérieur de l’Union, comme l’Espagne, la
Pologne ou la Roumanie, et vers des pays non Communautaires proches, comme le
Maroc, la Turquie ou l’Ukraine.
Juste un petit exemple: le coût horaire d’un
cueilleur de fraise à Huelva (sud de l’Espagne) est d’environ 6,50€, alors
qu’il est de plus de 12€ en France, presque le double.
Il est normal, dans ces conditions, que la
concurrence joue en faveur de la fraise espagnole, si on ne tient pas compte de
problèmes comme la qualité gustative. Et il est normal que les producteurs de
fraise français protestent. Et il est également normal qu’en France, la
production de fraise soit en difficulté, plus qu’en Espagne.
Mais ce n’est pas une raison pour dénigrer la production espagnole. Les problèmes
des années 90 sont résolus, et les éventuels résidus de pesticides qui peuvent
se trouver sur les fruits sont légaux dans toute l’Union Européenne, de la même
manière que les résidus présents sur les fraises françaises sont légaux en
France, en Espagne, et dans n’importe quel autre pays de l’Union. Les rares cas
de résidus illégaux sont sévèrement sanctionnés, et otent à leurs auteurs toute
envie de récidive.
L’Union
Européenne refuse jusqu’à présent d’interférer dans les problèmes sociaux à
l’échelon national.
C’est
bien dommage, car les dégats occasionnés par ces différences parfois démesurées,
seront bien difficiles à réparer dans l’avenir.
Quand
un secteur économique entier disparaît, les compétences requises et les gens formés
et préparés pour s’en occuper, disparaissent avec lui.
Le retour en arrière devient à peu près
impossible.
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