dimanche 4 janvier 2015

31- A qui la faute?



A QUI LA FAUTE?

Cet été, pendant mes vacances en France, j’ai été frappé par les nombreux commentaires et  articles publiés, en particulier sur les réseaux sociaux, à propos des résidus de pesticides interdits en France, frauduleux, et sur les risques existant sur les produits d’importation.
En cherchant un peu sur les réseaux sociaux, je me suis rendu compte, par la suite, que le problème existe dans de nombreux pays européens, où la peur de la concurrence fait dire n’importe quoi pour essayer de créer une peur chez les consommateurs, de ce qui n’a pas été produit dans leur propre pays. Il est toujours plus facile de chercher à justifier ses propres problèmes en accusant le voisin d’en être responsable.

Je veux faire une mise au point (européenne) sur le sujet, afin que vous sachiez comment ça fonctionne.
Je vous en ai déjà parlé (“11- L’Europe intoxiquée par les pesticides?” de mars 2014), mais je crois qu’il est bon de revenir sur le sujet.
En Europe, même si tout n’est pas parfait, loin de là, beaucoup de choses ont été harmonisées ou sont en cours d’harmonisation. C’est le cas des normes concernant les pesticides.

L’autorisation de mise à la vente d’un pesticide dans l’Union Européenne passe par un processus long et difficile, que l’on peut résumer ainsi: tout pesticide nouveau ne peut être mis en circulation sans une inscription préalable sur l’annexe I de la Directive 91/414/CEE.
L’inscription sur cette liste démontre que le pesticide respecte toutes les normes concernant l’efficacité d’action, l’inocuité pour les cultures, les effets secondaires à court, moyen et long terme sur la santé, sur l’environnement, sur les abeilles, la faune et la flore aquatiques, les animaux à plumes ou à poils, les risques d’accumulation dans le sol, les risques pour l’air et pour l’eau, les caractéristiques d’élimination dans la plante, dans le sol, les niveaux de résidus aceptables, les normes de manipulation, de transport, de stockage et d’utilisation, etc.
Pour obtenir cette inscription, le fabricant doit présenter un énorme dossier qui sera étudié à fond par une commission spécialisée qui prendra la décision. Les protocoles sont stricts et la moindre lacune dans le dossier est sanctionné par un report ou un refus.
Constituer un tel dossier représente, pour le fabricant, au moins 10 ans de travaux de recherche et d’expérimentation, en laboratoire d’abord, puis sous serre et enfin au champ, ainsi qu’un énorme investissement financier.

L’Union Européenne possède les normes environnementales et de sécurité les plus exigeantes au monde, en ce qui concerne les homologations de pesticides.

L’inscription sur l’annexe I de la Directive 91/414/CEE constitue l’autorisation légale d’utilisation de chaque pesticide, à l’intérieur de l’Union Européenne, dans des conditions qui devront être définies à l’échelon national.
Aucun pesticide ne peut être commercialisé légalement sans cette inscription préalable.
Le même système d’homologation existe aussi (ou est en cours de mise en place) pour les pesticides bio, les engrais, nutriments foliaires et les phytofortifiants, bref pour tout ce qui peut entrer au contact direct ou indirect avec ce qui deviendra un aliment.
Mais chaque fabricant est libre de demander la commercialisation de ses molécules dans chacun des pays de l’Union.Concrètement, l’inscription sur l’Annexe I permet la commercialisation dans les 28 pays de l’Union. Pourtant une molécule peut être autorisée en Espagne et en Hollande, et pas en France ni en Roumanie, par exemple, car le fabricant n’aura demandé la mise en circulation que dans ces pays. Les cas de ce type sont nombreux.
De la même manière, chaque fabricant est libre de demander l’autorisation de ses produits sur certaines productions, et pas sur d’autres, dans chaque pays. Pourquoi? Simplement parce que chaque autorisation sur chaque culture exige, dans chaque pays, un autre dossier, complémentaire du dossier européen, également long et couteux. En príncipe, le dossier présenté dans un pays pour un pesticide et sur une culture, peut servir pour la demande d’homologation du même pesticide, sur la même culture dans un autre pays de l’Union. Ça facilite les choses mais ça reste tout de même fastidieux et onéreux. Le fabricant choisit les homologations qu’il va demander en fonction du marché potentiel, pays par pays.
C’est ainsi qu’un fabricant peut demander l’autorisation d’un produit sur olivier en Espagne ou en Italie où les surfaces de la culture sont très importantes, mais pas en France, où la production est trop faible pour rentabiliser le dossier. De la même manière, un produit peut-être autorisé, par exemple sur olivier en Espagne mais pas en France, tout en étant homologué sur pomme de terre en France mais pas en Espagne.
C’est vraiment complexe, parfois aberrant, souvent difficile à admettre pour les agriculteurs, mais c’est la réalité.

Et c’est là qu’il est faut préciser les choses.

Parmi les fraudes aux pesticides, puisque c’est le point de départ de cet article, il faut distinguer deux cas:
-       Les importations frauduleuses de pesticides en provenance d’un autre pays de l’Union. Ce cas, de très loin le plus fréquent, constitue un délit légal, mais ne représente pas un risque pour l’environnement ou la santé. Ces risques ont été évalués auparavant, lors de l’étude du dossier d’inscription sur l’annexe I de la Directive 91/414/CEE. Ça reste interdit, mais disons que le risque est faible.
-       Les importations frauduleuses de pesticides en provenance de pays non communautaires. Ces cas existent, et sont même de plus en plus nombreux. C’est en général dû à des couts inférieurs, ou alors c’est une manière de trouver des molécules qui ont été interdites au sein de l’Union, durant le processus de mise en conformité avec la Directive 91/414/CEE, ou encore c’est une manière de se procurer une nouvelle molécule, disponible dans certains pays, mais pas encore au sein de l’Union. Là c’est autre chose, puisque de nombreuses molécules anciennes sont encore autorisées et utilisées dans certains pays. De la même manière, certaines molécules récentes peuvent avoir été refusées dans l’Union Européenne, ou n’avoir pas terminé le processus d’évaluation. Dans ce cas, il s’agit d’un délit légal, et d’une mise en danger de l’environnement, de l’utilisateur et du consommateur. Le risque est grave. Dans certains cas, les fraudes concernent des produits homologués, mais fabriqués hors d’Europe, généralement en Chine, non controlés, parfois dangereux. Voir à ce sujet, la vidéo sur le lien suivant: https://www.youtube.com/watch?v=K_2JkAJC5OM&feature=youtu.be

Donc, quand je vois ou j’entend des commentaires de mes collègues producteurs français, dans le but de réduire une concurrence qu’ils jugent déloyale, laisser entendre ou affirmer clairement que les aliments produits en Espagne sont dangereux car traités frauduleusement avec des produits interdits, je me dois de protester.
C’est faux et archi faux.
Il se peut qu’ils aient été traités avec des produits non autorisés en France, c’est vrai. Mais ce sont des produits totalement légaux en Espagne, c’est à dire en Europe, France comprise, meme si leur utilization n’y a pas été autorisée pour les motifs que j’ai expliqué précédemment. C’est difficile à accepter dans un marché unique, bien sûr, puisque ça laisse la porte ouverte à des interprétations et à l’incompréhension. En plus, ça crée inutilement des différences de compétitivité.
Je peux aussi retourner la remarque. Il y a de nombreux aliments, importés par l’Espagne depuis la France, qui arrivent en Espagne avec des résidus de produits non autorisés. Dont l’usage n’est pas autorisé en Espagne, mais autorisé dans l’Union, et dont les résidus sont donc légaux. Alors?
Les producteurs français ont tendance à oublier qu’ils exportent vers l’Espagne presque autant d’aliments que ce qui en est importé.
Avez-vous déjà entendu parler de plaintes et de protestations contre les produits français de la part des espagnols? Pourtant, sont-ils toujours parfaits? Non bien sûr, mais qui s’en soucie?

Les homologations au niveau national ne répondent qu’à des critères purement commerciaux, définis par les fabricants.

Tous les critères de sécurité des pesticides sont strictement identiques dans tous les pays de l’Union Européenne.



Les problèmes de concurrence interne à l’Union ne peuvent se régler par des politiques systématiques de dénigrement, comme celles lancées ces derniers mois en France vis à vis des produits espagnols en particulier.
Ils existent, c’est clair. Mais ce sont des problèmes de concurrence essentiellement dus aux énormes différences de coûts de main-d’oeuvre.
Et sur ce point, la France a pris une longueur d’avance, avec des coûts qui sont en train de provoquer la disparition de beaucoup de cultures dont la charge principale est précisément la main-d’oeuvre. Ces cultures sont délocalisées vers des pays dont la main d’oeuvre est beaucoup moins chère. Les exemples sont très nombreux, de délocalisations à l’intérieur de l’Union, comme l’Espagne, la Pologne ou la Roumanie, et vers des pays non Communautaires proches, comme le Maroc, la Turquie ou l’Ukraine.
Juste un petit exemple: le coût horaire d’un cueilleur de fraise à Huelva (sud de l’Espagne) est d’environ 6,50€, alors qu’il est de plus de 12€ en France, presque le double.
Il est normal, dans ces conditions, que la concurrence joue en faveur de la fraise espagnole, si on ne tient pas compte de problèmes comme la qualité gustative. Et il est normal que les producteurs de fraise français protestent. Et il est également normal qu’en France, la production de fraise soit en difficulté, plus qu’en Espagne.
Mais ce n’est pas une raison pour dénigrer la production espagnole. Les problèmes des années 90 sont résolus, et les éventuels résidus de pesticides qui peuvent se trouver sur les fruits sont légaux dans toute l’Union Européenne, de la même manière que les résidus présents sur les fraises françaises sont légaux en France, en Espagne, et dans n’importe quel autre pays de l’Union. Les rares cas de résidus illégaux sont sévèrement sanctionnés, et otent à leurs auteurs toute envie de récidive.

L’Union Européenne refuse jusqu’à présent d’interférer dans les problèmes sociaux à l’échelon national.
C’est bien dommage, car les dégats occasionnés par ces différences parfois démesurées, seront bien difficiles à réparer dans l’avenir.

Quand un secteur économique entier disparaît, les compétences requises et les gens formés et préparés pour s’en occuper, disparaissent avec lui.
Le retour en arrière devient à peu près impossible.

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