COSMÉTIQUE DES ALIMENTS
J'apprécie beaucoup le mouvement récent des Gueules
Cassées, en France. Je suis très sensible au problème, et si vous me lisez
depuis assez longtemps, vous avez déjà vu ce que j'ai écrit sur le sujet aux
mois de mai et juin dans mes articles 18, 19, 21 et 23. Si vous me suivez sur
Facebook, Twitter ou LinkedIn, vous aurez vu plusieurs re-publications sur le
sujet. Le mouvement commence à faire des émules dans plusieurs pays.
Je veux revenir sur le sujet, à la suite d'un
article argentin (en espagnol), que j'ai publié sur mes différents comptes,
dans lequel un scientifique, Daniel Igarzábal, directeur du Laboratoire de
Recherche, Développement et Expérimentation Régional (Córdoba, Argentine) dit, lors
d’une conférence, que l'agriculture doit changer d'orientation et cesser de
considérer les insectes comme des ennemis, tout en favorisant la biodiversité
pour pouvoir vivre avec.
http://www.on24.com.ar/agro/6594/la-clave-del-futuro-de-la-agricultura?utm_content=buffer9066c&utm_medium=social&utm_source=twitter.com&utm_campaign=buffer
Image: http://aramel.free.fr/Coccinella-septempunctata-pucerons-9.jpg
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Sur le fond, je suis d'accord avec lui, mais la
réalité de l’agriculture actuelle n'est pas exactement celle dont il rêve. L’agriculture
ne peut pas changer seule. C’est la société qui doit changer, et l’agriculture
avec elle.
Pour comprendre la problématique de l’agriculteur, il
faut se placer, non pas dans la position du chercheur scientifique et de
l'observateur de la nature et de ses rouages, qu'est Daniel Igarzábal, mais
dans celle de l'acteur économique intégré dans la société, et devant respecter
ses exigences, qu’est l’agriculteur.
Il faut aller vers ce qu'il dit, c'est à peu près
sûr, mais pour cela, il faut changer certains postulats de notre civilisation
moderne.
Sur les fruits et légumes, et sur l’ensemble des
produits agricoles non destinés à la transformation, près de 50% des
traitements réalisés avec des pesticides, bio ou conventionnels, ont un objectif
cosmétique. C'est à dire qu'ils sont appliqués pour résoudre un problème,
insecte ou maladie, dont les seules conséquences sont d'ordre esthétique sur le
produit devant être proposé au consommateur.
Est-ce raisonnable? Est-ce compatible avec une agriculture
durable et respectueuse de l'environnement?
Bien évidemment non, mais pour résoudre ce vrai
problème de société, le mouvement des Gueules Cassées ne suffira pas, et en
plus ne va pas réellement dans la bonne direction.
Son but, tout à fait louable, est de réduire le
scandaleux gaspillage alimentaire de notre société. Il cherche et obtient une
prise de conscience de l’ensemble de la société civile, d’un problème qui va en
s’aggravant. C'est bien, mais ça ne va pas résoudre le problème de l'agriculteur.
Revenons un instant sur la problématique.
L'agriculteur est une personne qui cultive la terre pour y élever des plantes
ou des animaux, dans le but de gagner sa vie en produisant des aliments. Il vit
au rythme des saisons, se lève tôt, a des tracteurs et des bottes en
caoutchouc, et souffre rarement des embouteillages.
Mais il ne faut pas oublier le plus important.
L'agriculteur doit affronter des problèmes très
"terre à terre", bien loin des préoccupations
philososophico-philanthropiques d'alimentation de l'humanité dans le respect de
Mère Nature. Il gère une entreprise, plus ou moins grande, dont il doit assurer
la perennité en lui assurant un chiffre d'affaire suffisant pour la faire
tourner, tout en en tirant un revenu digne.
Ça manque de poésie et de romantisme, sans aucun
doute, mais les administrations des impôts ou de la Sécurité Sociale y sont peu
sensibles.
Soyons clairs, un agriculteur, quelle que soit
l’échelle à laquelle il travaille, est d’abord un chef d’entreprise, et comme
tel, il doit gérer l’ensemble des problèmes inhérents à cette activité.
Son premier problème : fournir à ses clients
des produits conformes à un certain nombre de cahiers des charges. En fonction
de critères de qualité, les produits seront classés en catégories, et payés en
conséquence. Plus la qualité sera élevée, plus le revenu de l’agriculteur sera
bon, pour une même quantité fournie.
A partir de ce postulat, que signifie le mot
qualité ? c’est là que le bât blesse. Chaque échelon du circuit commercial
alimentaire a sa propre définition de la qualité, et c’est un autre vrai problème
de société.
Pour le producteur, le produit doit être
suffisamment facile à produire pour avoir un pourcentage élevé de premier
choix, se conserve facilement, ne soit pas trop sensible aux parasites, soit
productif, de manière à lui donner toutes les chances de le vendre dans de
bonnes conditions, et d’en tirer un revenu correct.
Le metteur en marché, lui, attend des produits qu’il
achète et revend, qu’ils soient beaux, se conservent bien, résistent bien aux
manipulations, qu’ils soient suffisamment bons pour que le consommateur
revienne (ce qui ne veut pas dire qu’ils doivent être bons, sinon qu’ils ne
soient pas être décevants, nuance), et qu’ils lui permettent de sortir une
marge bénéficiaire suffisante. En plus, depuis quelques années, il est
préoccupé par la sécurité alimentaire, car c’est un énorme risque commercial
pour lui.
Le consommateur attend des produits qu’il achète
qu’ils soient sains, qu’ils aient bon goût, et qu’ils ne pourrissent pas trop
vite.
Image: http://www.marseillevert.fr/wp-content/uploads/2016/02/FL-5.jpg
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Oui, mais le consommateur n’a pas été éduqué à
acheter ses aliments. Il ne sait pas reconnaître un produit meilleur que les
autres. Comme on dit, le consommateur achète avec les yeux. Tous les tests de
consommation le démontrent : mettez, côte à côte, deux produits
identiques, disons des pommes Golden, pour prendre un produit très courant.
L’un des lots est parfait, bien formé, avec une belle couleur, et sans défaut
d’épiderme. Mettez à côté un lot, plus irrégulier en forme, en calibre et
surtout en aspect (quelques dégâts de frottements, quelques taches). Les pommes
les plus belles seront vendues les premières, même si elles sont plus chères,
même si elles sont moins bonnes. C’est une réalité.
Les Gueules cassées l’ont compris et défendent, avec
succès, les produits moins beaux.
Les metteurs en marchés, et spécialement les supermarchés
l’ont également compris, qui exigent de leurs fournisseurs, agriculteurs,
coopératives ou groupements variés, qu’ils leur fournissent des produits à
l’esthétique toujours plus proche de la perfection.
La conséquence pour l’agriculteur, est que son
revenu dépend de deux facteurs principaux, la productivité (un hectare de
culture coute presque la même chose, quelle que soit sa production), et le
pourcentage de premier choix.
Autrement dit, le système de mise en marché
contraint actuellement l’agriculteur à réaliser de nombreux traitements pour
augmenter la proportion de premier choix.
Mais le pire, c’est que cette tendance, très nette
en agriculture conventionnelle ou en production intégrée, commence aussi à
apparaître pour les produits de l’agriculture biologique, au moins en ce qui
concerne la part, importante, de production commercialisée à travers les
supermarchés.
Le mouvement des Gueules Cassées ne résout pas, au
moins pour l’instant, ce problème-là. La prise de conscience que l’esthétique
n’a pas de rapport avec la qualité est certes positive, mais la baisse des prix
de vente aux consommateurs des produits moches, laisse la réalité économique de
l’agriculteur de côté. Quand on sait que l’agriculteur ne touche que de 10 à
20% du prix définitif, parfois moins, il vous suffit de faire le calcul.
Image: https://media.npr.org/assets/img/2015/03/26/produce-collages_vertical-edit_custom-54376fbcdb687503289546f2742d0f768602cf8f-s900-c85.jpg
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Je crois qu’il faut redonner confiance aux
consommateurs dans les produits qu’ils consomment, et dans cet objectif, les
démarches de dénigrement à but lucratif, lancées sans relâche par les mouvements
bio, et souvent tacitement appuyées par les administrations publiques, vont
totalement à contre-courant.
J’ai déjà abordé ce sujet dans ma publication nº 16
sur la Production Biologique. Cette philosophie/méthode de production porte en
elle suffisamment d’arguments positifs, pour qu’il ne lui soit pas nécessaire
d’enfoncer systématiquement la production conventionnelle, avec des arguments
faux ou faussés. Cette argumentation négative ne contribue qu’à éloigner le
consommateur des produits frais, comme le montrent les courbes décroissantes de
consommation de fruits et légumes depuis plusieurs années. Pourtant, favoriser
l’augmentation globale de la consommation, profiterait autant au Bio qu’au
conventionnel. Dans le même temps, cela renforcerait la position de
l’agriculture en apportant aux consommateurs tous les bienfaits d’une
alimentation riche en produits frais.
Le changement de direction que préconise Daniel
Igarzábal ne se fera pas sans un changement profond dans les sociétés les plus
riches. Ce changement doit passer par une éducation du consommateur, action à
laquelle le mouvement des Gueules Cassées apporte une importante contribution,
mais aussi et surtout une vraie révolution dans l’organisation des circuits de
distribution des biens de consommation.
Rien n’évoluera vraiment sans que ces deux actions,
complémentaires et indissociables, ne soient conduites de front.
Mais il y a beaucoup d’intérêts économiques en jeu,
et ça ne pourra pas se faire sans décisions drastiques de type législatif.
Il s’agit de repenser totalement certains
fonctionnements profonds de nos sociétés de consommation.
Cela intéresse-t-il quelqu’un ?
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