JE N’AI PAS SIGNÉ
CETTE PÉTITION, avec laquelle je suis pourtant en principe d’accord.
J’ai l’ai reçue sur
Facebook. Il s’agit d’agriculture et bien évidemment, je m’y suis intéressé.
Je suis a priori
plutôt d’accord avec le texte, ou en tous cas avec le début.
La flavescence dorée
est une maladie très grave de la vigne, incurable et hautement contagieuse,
contre laquelle la seule protection efficace consiste à contrôler les
populations de l’insecte qui la transmet, une cicadelle (Scaphoideus titanus) et
par l’arrachage systématique de vignes infestées et leur brûlage. Il s’agit
d’un phytoplasme, c’est-à-dire une sorte de bactérie sans paroi cellulaire, un
ADN infectieux.
Ne connaissant pas
particulièrement la situation de la Bourgogne, il me semble cohérent qu’un
agriculteur bio préfère des méthodes non chimiques pour contrôler l’insecte,
bien que leur efficacité à court terme ne soit pas au niveau de celle des
produits chimiques en cas de forte infestation. Cependant si un équilibre est
maintenu, les risques sont en principe relativement faibles. Une surveillance
bien faite doit permettre de ne pas se laisser dépasser.
Il arrive également
que certaines décisions administratives soient arbitraires, abusives ou trop
réductrices, ce que nous explique la pétition. Dans ce contexte, la pétition
parait cohérente.
Puis arrive un
paragraphe qui dit « Mais surtout, surtout, c’est en préservant la
biodiversité qu’on lutte le mieux contre la cicadelle, car c’est un insecte
apprécié par de nombreux prédateurs dans la nature ». Jusque-là, pas de
problème, je suis entièrement d’accord, et c’est un principe que j’applique au
quotidien dans les vergers, pour des cicadelles et pour la plupart des
problèmes phytosanitaires.
Mais ça se gâte avec
la suite du paragraphe : « Le problème est que ces prédateurs, les
araignées, la mante religieuse et certains types de punaises, ont aujourd’hui
été éradiqués dans les vignes non biologiques, où la faune est ravagée par les
insecticides ». Voilà, voilà, voilà. Nous y sommes. Un peu de
prosélytisme, quelques bons mensonges et le tour est joué. C’est archi-faux. Ce qui a été une vérité jusque dans les années 80,
il faut bien le reconnaître, ne l’est absolument plus aujourd’hui. Mais cet
argument, désormais faux, reste une arme tout à fait efficace pour mobiliser
des foules de gens qui ne connaissent pas le sujet, et se laissent largement
influencer, car on ne leur donne pas l’information nécessaire.
Je fais une production
en agriculture dite conventionnelle, mais ce que j’appelle une troisième voie,
la production intégrée. Je prépare une série de 3 publications sur les méthodes
de production, dans lesquelles je vous l’expliquerai en détails. Mais, pour
faire court, j’utilise des produits chimiques chaque fois que c’est nécessaire,
autant des pesticides que des engrais. Je n’en tire aucune fierté particulière,
mais je n’en ai pas honte. Chaque utilisation est justifiée, jamais abusive, et
toujours étudiée avec soin, cherchant l’équilibre entre le problème à résoudre
et le maintien de l’équilibre général de la culture.
Je suis heureux et
fier de pouvoir observer quotidiennement sur les fermes dont je m’occupe, la
faune variée des bords du Guadalquivir, comme par exemple des lièvres, des
lapins, des perdrix, des guêpiers, des cigognes, des perroquets, des rapaces (faucons
crécerelles, milans, circaetes, balbuzards, chouettes et hibous, etc.), des
tortues sauvages, des loutres, des mangoustes, des genettes, des renards, des
couleuvres (liste non exhaustive) et de nombreux insectes auxiliaires comme des
araignées, certains types de punaises prédatrices (anthocoris et orius), des
mantes religieuses, des chrysopes, des syrphes et j’en passe qui, au contraire
de ce qui est écrit dans la pétition, n’ont pas été éradiqués des vergers ni
ici, ni ailleurs, pas plus que dans les vignes ou les fermes maraichères.
Pourtant, si l’on en croit la pétition, les fermes dont je m’occupe devraient
être une sorte de grand désert aride et sans vie, après plus de 40 ans de
cultures fruitières sur les mêmes terres, en utilisant des produits chimiques.
Comme vous l’imaginez
peut-être, je soupçonne alors un vaste manque d’objectivité, et je décide de
chercher un peu plus d’information. Je tombe sur une page web qui est
curieusement cosignée par de nombreux organismes officiels et privés, dont le
SEDARB (Service d’EcoDéveloppement Agrobiologique et Rural de Bourgogne) et qui
publie les résultats des contrôles, piégeages, évolutions des populations de
l’insecte, ainsi que des recommandations d’intervention (chimiques ou
biologiques) dans l’objectif de maintenir les populations de l’insecte à un
niveau non dangereux. Parmi les textes publiés sur cette page web, on trouve le
suivant : «le traitement insecticide est une mesure absolument nécessaire
cette année en raison du risque de propagation de la maladie dans la région. Il
n’existe, pour l’instant, pas d’autre alternative».
Il m’apparaît donc
évident que l’administration, dans ce cas, fait parfaitement bien son travail,
que la situation sanitaire est effectivement préoccupante et justifie des
actions exceptionnelles.
D’autre part, il y a
en Bourgogne, comme ailleurs de nombreux viticulteurs en agriculture biologique
ou en biodynamie, dont les vignobles sont situés dans des zones où l’obligation
de traiter a dû être imposée. Ils ne sont pas menacés de procès et de prison.
Pourquoi ? Parce qu’ils ont compris l’importance de ce traitement, parce
qu’ils savent qu’une entorse à leurs convictions n’est pas forcément la fin du
monde, et ils ont eu l’intelligence d’accepter, probablement à contrecœur, de se
plier à cette mesure d’intérêt général.
Et je me rends compte
que cet agriculteur est en fait un extrémiste qui préfère mettre en péril une
région entière pour ne pas remettre en cause ses convictions. Dans d’autres
situations et sous d’autres latitudes, il aurait pu s’appeler taliban, et
personne n’aurait signé de pétition pour défendre l’indéfendable. Je comprends
qu’il ait du mal à accepter de devoir traiter. Pourtant il existe des moyens
techniques efficaces qui permettent de faire un traitement avec un insecticide
biologique avec un minimum de conséquences sur la faune auxiliaire et
l’environnement. C’est par exemple de réaliser le traitement de nuit, alors que
la majorité des auxiliaires sont cachés dans leurs refuges naturels et les
abeilles dans les ruches.
Quant à la cicadelle,
elle vit sur la culture, et ne se cache pas la nuit. Elle est donc aussi
sensible la nuit que le jour. C’est une technique qui s’utilise habituellement
dans toutes les régions chaudes, comme c’est le cas ici, en Andalousie, ou
comme c’est aussi le cas dans ma précédente région de résidence, la Provence.
Au lever du soleil, le
produit sera sec, le brouillard de traitement sera retombé, les risques seront
très faibles, et les conséquences environnementales auront été minimisées. Bien
sûr elles ne sont jamais nulles, mais les risques liés à la maladie sont
autrement plus graves, et à court, moyen et long terme.
Il se trouve que la
revue L’Express vient de publier sur sa page web, l’article suivant, sur le
même sujet, nettement plus modéré que la pétition:
Beaucoup de
périodiques ont relayé le sujet, avec plus ou moins de prudence.
Soyons clair,
maintenir la biodiversité et les équilibres sur une ferme est une obligation
pour n’importe quel agriculteur un tant soit peu intelligent et consciencieux.
Même s’il n’a pas de convictions écologistes, c’est une simple question logique
et économique. Mais ça ne suffit pas forcément pour tout contrôler. Par
exemple, on ne peut pas reprocher aux Egyptiens antiques d’avoir abusé des
pesticides, puisqu’ils n’en disposaient pas. Pourtant les ravages des vols de sauterelles
étaient périodiques. Les insectes et les maladies, quels qu’ils soient, rencontrent
parfois des conditions qui leurs sont particulièrement favorables et qui
provoquent chez eux une explosion démographique. C’est ce qui s’est produit en
2012-2013 pour la cicadelle vecteur de la maladie. Une telle explosion démographique,
bien que naturelle, provoque une rupture de la situation d’équilibre. Dans ce
cas, la population de prédateurs se retrouve brutalement en nombre insuffisant
par rapport à sa proie, et le contrôle naturel ne suffit plus. Si l’insecte
provoque seulement un dégât sur la culture, le dégât sera plus élevé cette
année et le revenu de l’agriculteur plus bas. Ça ne va pas plus loin, sauf si
l’insecte est un vecteur de maladie, car on se trouve alors devant un grave
risque de survie de la culture. Dans le cas d’un vignoble comme celui de
Bourgogne, c’est toute l’activité humaine de la région qui est mise en danger.
L’intervention de
traitement a pour but essentiel de réduire la population de cicadelle, sans
éliminer ses prédateurs, de manière à revenir à une situation d’équilibre. Une
fois l’équilibre rétabli, on peut reprendre la méthode antérieure.
On ne demandait pas à
cet agriculteur de remettre en cause sa méthode, on lui demandait seulement d’y
faire une entorse, relative puisqu’à base d’un insecticide biologique, de
manière à éviter un risque beaucoup plus grave.
Enfin et pour
conclure, cette maladie est présente depuis les années 40 en France (Sud-Ouest
et Languedoc-Roussillon) et en Italie (Moitié Nord du pays). Jusqu’au début des
années 2000, elle était relativement contrôlée, grâce à des arrachages
systématiques de parcelles infestées et aux traitements et actions préventives
et prophylactiques appropriées. Pourtant, depuis une dizaine d’années, et
malgré tous ces efforts, la maladie a repris sa progression, allant plus au
Nord dans la plupart des vignobles français, apparaissant aussi en Autriche, en
Suisse, au Portugal et en Espagne (Catalogne). Cela montre qu’il ne faut pas
prendre les choses à la légère, et que ce que nous déclare cet agriculteur est sans
fondement: 40 ans de pratique d’agriculture biologique et biodynamique en Côte
d’Or ne l’on jamais mis en présence de niveaux dangereux de cet insecte. Il n’a
donc aucune expérience qui lui permette d’affirmer qu’il est capable de le
maitriser par les techniques dont il parle. Et le risque de contamination n’est
pas hypothétique, mais bien réel, puisqu’il a fallu arracher plusieurs
parcelles de vigne entre 2012 et 2013, dans sa région.
La pétition, sur la
page web, a été changée par des explications orales données par l’agriculteur
lui-même. Autant dans la pétition écrite que dans cette deuxième version,
l’agriculteur ment ou donne une information incomplète, mais avec un ton très
convaincant. Je suis désolé de dire à ceux qui ont signé cette pétition :
vous vous êtes fait avoir. Méfiez-vous de ce qui se dit sur Internet, ce n’est
pas toujours la vérité.
Je n’ai donc pas signé
cette pétition, et j’ajoute que je souhaite que cet agriculteur soit condamné,
de manière symbolique, pour avoir mis en péril une région entière par son
extrémisme et son irresponsabilité, et trompé des dizaines de milliers
d’internautes crédules à qui il a raconté beaucoup de mensonges et de vérités
détournées.
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