dimanche 4 janvier 2015

7- Je n'ai pas signé la pétition



JE N’AI PAS SIGNÉ CETTE PÉTITION, avec laquelle je suis pourtant en principe d’accord.

J’ai l’ai reçue sur Facebook. Il s’agit d’agriculture et bien évidemment, je m’y suis intéressé.

Je suis a priori plutôt d’accord avec le texte, ou en tous cas avec le début.
La flavescence dorée est une maladie très grave de la vigne, incurable et hautement contagieuse, contre laquelle la seule protection efficace consiste à contrôler les populations de l’insecte qui la transmet, une cicadelle (Scaphoideus titanus) et par l’arrachage systématique de vignes infestées et leur brûlage. Il s’agit d’un phytoplasme, c’est-à-dire une sorte de bactérie sans paroi cellulaire, un ADN infectieux.
Ne connaissant pas particulièrement la situation de la Bourgogne, il me semble cohérent qu’un agriculteur bio préfère des méthodes non chimiques pour contrôler l’insecte, bien que leur efficacité à court terme ne soit pas au niveau de celle des produits chimiques en cas de forte infestation. Cependant si un équilibre est maintenu, les risques sont en principe relativement faibles. Une surveillance bien faite doit permettre de ne pas se laisser dépasser.
Il arrive également que certaines décisions administratives soient arbitraires, abusives ou trop réductrices, ce que nous explique la pétition. Dans ce contexte, la pétition parait cohérente.

Puis arrive un paragraphe qui dit « Mais surtout, surtout, c’est en préservant la biodiversité qu’on lutte le mieux contre la cicadelle, car c’est un insecte apprécié par de nombreux prédateurs dans la nature ». Jusque-là, pas de problème, je suis entièrement d’accord, et c’est un principe que j’applique au quotidien dans les vergers, pour des cicadelles et pour la plupart des problèmes phytosanitaires.
Mais ça se gâte avec la suite du paragraphe : « Le problème est que ces prédateurs, les araignées, la mante religieuse et certains types de punaises, ont aujourd’hui été éradiqués dans les vignes non biologiques, où la faune est ravagée par les insecticides ». Voilà, voilà, voilà. Nous y sommes. Un peu de prosélytisme, quelques bons mensonges et le tour est joué. C’est archi-faux. Ce qui a été une vérité jusque dans les années 80, il faut bien le reconnaître, ne l’est absolument plus aujourd’hui. Mais cet argument, désormais faux, reste une arme tout à fait efficace pour mobiliser des foules de gens qui ne connaissent pas le sujet, et se laissent largement influencer, car on ne leur donne pas l’information nécessaire.
Je fais une production en agriculture dite conventionnelle, mais ce que j’appelle une troisième voie, la production intégrée. Je prépare une série de 3 publications sur les méthodes de production, dans lesquelles je vous l’expliquerai en détails. Mais, pour faire court, j’utilise des produits chimiques chaque fois que c’est nécessaire, autant des pesticides que des engrais. Je n’en tire aucune fierté particulière, mais je n’en ai pas honte. Chaque utilisation est justifiée, jamais abusive, et toujours étudiée avec soin, cherchant l’équilibre entre le problème à résoudre et le maintien de l’équilibre général de la culture.
Je suis heureux et fier de pouvoir observer quotidiennement sur les fermes dont je m’occupe, la faune variée des bords du Guadalquivir, comme par exemple des lièvres, des lapins, des perdrix, des guêpiers, des cigognes, des perroquets, des rapaces (faucons crécerelles, milans, circaetes, balbuzards, chouettes et hibous, etc.), des tortues sauvages, des loutres, des mangoustes, des genettes, des renards, des couleuvres (liste non exhaustive) et de nombreux insectes auxiliaires comme des araignées, certains types de punaises prédatrices (anthocoris et orius), des mantes religieuses, des chrysopes, des syrphes et j’en passe qui, au contraire de ce qui est écrit dans la pétition, n’ont pas été éradiqués des vergers ni ici, ni ailleurs, pas plus que dans les vignes ou les fermes maraichères. Pourtant, si l’on en croit la pétition, les fermes dont je m’occupe devraient être une sorte de grand désert aride et sans vie, après plus de 40 ans de cultures fruitières sur les mêmes terres, en utilisant des produits chimiques.

Comme vous l’imaginez peut-être, je soupçonne alors un vaste manque d’objectivité, et je décide de chercher un peu plus d’information. Je tombe sur une page web qui est curieusement cosignée par de nombreux organismes officiels et privés, dont le SEDARB (Service d’EcoDéveloppement Agrobiologique et Rural de Bourgogne) et qui publie les résultats des contrôles, piégeages, évolutions des populations de l’insecte, ainsi que des recommandations d’intervention (chimiques ou biologiques) dans l’objectif de maintenir les populations de l’insecte à un niveau non dangereux. Parmi les textes publiés sur cette page web, on trouve le suivant : «le traitement insecticide est une mesure absolument nécessaire cette année en raison du risque de propagation de la maladie dans la région. Il n’existe, pour l’instant, pas d’autre alternative».

Il m’apparaît donc évident que l’administration, dans ce cas, fait parfaitement bien son travail, que la situation sanitaire est effectivement préoccupante et justifie des actions exceptionnelles.
D’autre part, il y a en Bourgogne, comme ailleurs de nombreux viticulteurs en agriculture biologique ou en biodynamie, dont les vignobles sont situés dans des zones où l’obligation de traiter a dû être imposée. Ils ne sont pas menacés de procès et de prison. Pourquoi ? Parce qu’ils ont compris l’importance de ce traitement, parce qu’ils savent qu’une entorse à leurs convictions n’est pas forcément la fin du monde, et ils ont eu l’intelligence d’accepter, probablement à contrecœur, de se plier à cette mesure d’intérêt général.
Et je me rends compte que cet agriculteur est en fait un extrémiste qui préfère mettre en péril une région entière pour ne pas remettre en cause ses convictions. Dans d’autres situations et sous d’autres latitudes, il aurait pu s’appeler taliban, et personne n’aurait signé de pétition pour défendre l’indéfendable. Je comprends qu’il ait du mal à accepter de devoir traiter. Pourtant il existe des moyens techniques efficaces qui permettent de faire un traitement avec un insecticide biologique avec un minimum de conséquences sur la faune auxiliaire et l’environnement. C’est par exemple de réaliser le traitement de nuit, alors que la majorité des auxiliaires sont cachés dans leurs refuges naturels et les abeilles dans les ruches.
Quant à la cicadelle, elle vit sur la culture, et ne se cache pas la nuit. Elle est donc aussi sensible la nuit que le jour. C’est une technique qui s’utilise habituellement dans toutes les régions chaudes, comme c’est le cas ici, en Andalousie, ou comme c’est aussi le cas dans ma précédente région de résidence, la Provence.
Au lever du soleil, le produit sera sec, le brouillard de traitement sera retombé, les risques seront très faibles, et les conséquences environnementales auront été minimisées. Bien sûr elles ne sont jamais nulles, mais les risques liés à la maladie sont autrement plus graves, et à court, moyen et long terme.
Il se trouve que la revue L’Express vient de publier sur sa page web, l’article suivant, sur le même sujet, nettement plus modéré que la pétition:
Beaucoup de périodiques ont relayé le sujet, avec plus ou moins de prudence.
Soyons clair, maintenir la biodiversité et les équilibres sur une ferme est une obligation pour n’importe quel agriculteur un tant soit peu intelligent et consciencieux. Même s’il n’a pas de convictions écologistes, c’est une simple question logique et économique. Mais ça ne suffit pas forcément pour tout contrôler. Par exemple, on ne peut pas reprocher aux Egyptiens antiques d’avoir abusé des pesticides, puisqu’ils n’en disposaient pas. Pourtant les ravages des vols de sauterelles étaient périodiques. Les insectes et les maladies, quels qu’ils soient, rencontrent parfois des conditions qui leurs sont particulièrement favorables et qui provoquent chez eux une explosion démographique. C’est ce qui s’est produit en 2012-2013 pour la cicadelle vecteur de la maladie. Une telle explosion démographique, bien que naturelle, provoque une rupture de la situation d’équilibre. Dans ce cas, la population de prédateurs se retrouve brutalement en nombre insuffisant par rapport à sa proie, et le contrôle naturel ne suffit plus. Si l’insecte provoque seulement un dégât sur la culture, le dégât sera plus élevé cette année et le revenu de l’agriculteur plus bas. Ça ne va pas plus loin, sauf si l’insecte est un vecteur de maladie, car on se trouve alors devant un grave risque de survie de la culture. Dans le cas d’un vignoble comme celui de Bourgogne, c’est toute l’activité humaine de la région qui est mise en danger.
L’intervention de traitement a pour but essentiel de réduire la population de cicadelle, sans éliminer ses prédateurs, de manière à revenir à une situation d’équilibre. Une fois l’équilibre rétabli, on peut reprendre la méthode antérieure.
On ne demandait pas à cet agriculteur de remettre en cause sa méthode, on lui demandait seulement d’y faire une entorse, relative puisqu’à base d’un insecticide biologique, de manière à éviter un risque beaucoup plus grave.

Enfin et pour conclure, cette maladie est présente depuis les années 40 en France (Sud-Ouest et Languedoc-Roussillon) et en Italie (Moitié Nord du pays). Jusqu’au début des années 2000, elle était relativement contrôlée, grâce à des arrachages systématiques de parcelles infestées et aux traitements et actions préventives et prophylactiques appropriées. Pourtant, depuis une dizaine d’années, et malgré tous ces efforts, la maladie a repris sa progression, allant plus au Nord dans la plupart des vignobles français, apparaissant aussi en Autriche, en Suisse, au Portugal et en Espagne (Catalogne). Cela montre qu’il ne faut pas prendre les choses à la légère, et que ce que nous déclare cet agriculteur est sans fondement: 40 ans de pratique d’agriculture biologique et biodynamique en Côte d’Or ne l’on jamais mis en présence de niveaux dangereux de cet insecte. Il n’a donc aucune expérience qui lui permette d’affirmer qu’il est capable de le maitriser par les techniques dont il parle. Et le risque de contamination n’est pas hypothétique, mais bien réel, puisqu’il a fallu arracher plusieurs parcelles de vigne entre 2012 et 2013, dans sa région.

La pétition, sur la page web, a été changée par des explications orales données par l’agriculteur lui-même. Autant dans la pétition écrite que dans cette deuxième version, l’agriculteur ment ou donne une information incomplète, mais avec un ton très convaincant. Je suis désolé de dire à ceux qui ont signé cette pétition : vous vous êtes fait avoir. Méfiez-vous de ce qui se dit sur Internet, ce n’est pas toujours la vérité.

Je n’ai donc pas signé cette pétition, et j’ajoute que je souhaite que cet agriculteur soit condamné, de manière symbolique, pour avoir mis en péril une région entière par son extrémisme et son irresponsabilité, et trompé des dizaines de milliers d’internautes crédules à qui il a raconté beaucoup de mensonges et de vérités détournées.

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