AIDE-MÉMOIRE
La
mémoire humaine a un champ de vision arrière extrêmement limité.
J'en
veux pour preuve le mouvement actuel contre la vaccination.
Sous
quel prétexte veut-on revenir en arrière sur les vaccins? Sous prétexte qu'ils
ont des effets secondaires? Sous prétexte que les maladies contre lesquelles
ils nous prémunissent sont réputées éradiquées?
Qu'est-il
préférable, supporter les effets secondaires des vaccins, ou assister à un
retour en force de la variole, de la polio ou de la peste? Parce qu’il ne
faudrait pas oublier qu’un effet secondaire, pour désagréable qu’il soit, est
avant tout secondaire. Savez-vous que le 27 juin 2015, un enfant est mort à
Barcelone, donc en Europe, dans une grande ville moderne avec des moyens
sanitaires énormes? Et de quoi est-il mort, ce pauvre enfant? De diphtérie. Vous
avez bien lu, de diphtérie, une maladie éradiquée d’Espagne depuis 30 ans. Et
me direz-vous, pourquoi diable n'était-il pas vacciné cet enfant? Et bien parce
que ses parents s’opposent au principe de la vaccination.
Il
est facile de dire que les vaccins ne servent à rien quand (presque) tout le
monde autour est vacciné et que les maladies contre lesquelles on se vaccine
ont effectivement disparu de notre environnement habituel.
Mais
on oublie que les vaccins répondent à une nécessité. On oublie que le Monde est
vaste et que les maladies peuvent encore exister quelque part. Jusqu’au jour où
le drame se produit...
Une
bien triste histoire, ne trouvez-vous pas?
La
situation actuelle des pesticides dans les pays industrialisés est à mon avis comparable à
celle des vaccins par beaucoup d’aspects. En effet, pourquoi veut-on supprimer
les pesticides? Parce que trop de gens ont la mémoire trop courte.
J'ai
la chance, comme la majorité de mes lecteurs (comme je le vois par les statistiques du
blog), de vivre dans une région riche, où les conditions de vie sont globalement
agréables, avec un système sanitaire de qualité, avec la disposition quasi
illimitée de tous les produits nécessaires à une vie confortable.
D’autre
part je constate que les opposants, tant aux vaccins qu'aux pesticides, sont le
plus souvent des citadins, embourgeoisés, confortablement installés à l'abri de
la faim et des épidémies. Ils ont un accès très facile à l’eau potable, ils
choisissent leur alimentation et aiment varier, c’est tellement plus
agréable !
Ils
s'opposent aux pesticides d'un point de vue idéologique ou philosophique, tout
en refusant de voir que leur utilisation répond avant tout à une nécessité, et
que leur interdiction pourrait entrainer de graves problèmes. Lorsque
l'idéologie rend aveugle...
Je
constate aussi que tout le monde se préoccupe de l’avenir, ce qui est très sain
d’ailleurs, mais également que tout le monde, ce qui est très malsain, oublie le
passé, mais également le présent lorsqu’il est éloigné. Les problèmes des
autres nous affectent peu quand ce ne sont pas des proches, ou que nous ne sentons
pas nous-mêmes menacés. Quand l'idéologie rend égoïste...
Quelques
exemples pour vous rafraichir la mémoire.
Le criquet pèlerin (Schistocerca gregaria).
Ce gros insecte
est une importante source alimentaire pour certaines populations locales. Pourtant, il a
de tous temps supposé de graves problèmes, et représente, encore aujourd’hui, une
menace permanente en Afrique et en Asie. Les textes sacrés anciens comme la
Bible ou le Coran y font référence comme fléau divin. Dans certaines conditions
l’insecte, habituellement solitaire et tranquille, devient grégaire, il subit
des changements physiologiques et change totalement de comportement. Des
essaims gigantesques se forment en Afrique subsaharienne, qui se déplacent en volant.
Les grands essaims observés peuvent couvrir jusqu’à 1200 km2, rassemblant
jusqu’à 80 millions d’individus par km2, et se déplacer jusqu’à 200 km par
jour. Ces essaims durent en général plusieurs années (de 3 à 10 ans en fonction
des conditions climatiques) ravageant tout sur leur passage, et produisant des
déjections toxiques. Certains vols peuvent arriver parfois jusqu’en Espagne et
en Russie. L’essaim de 1989 a même réussi à traverser l’Océan Atlantique pour
arriver jusqu’aux Caraïbes. Depuis 1990 la FAO a mis en place un service de
surveillance des conditions climatiques et des populations de criquets, de
manière à pouvoir intervenir en préventif, dès que les conditions sont
favorables à la formation des essaims. L’alerte de 2003 à 2005, selon les
données de la FAO, affecta 20 pays africains, couta 400 millions de $ en moyens
de lutte, et détruisit pour une valeur de plus de 2,5 milliards de $ de
récoltes, provoquant une énorme insécurité alimentaire dans toute cette région
fragile. Les pesticides, insecticides dans ce cas, judicieusement placés, sur
les lieux de création des essaims, et au moment opportun, permettent d'éviter
la formation des vols, sans pour autant éliminer l'insecte. Appliqués trop
tard, les essaims sont déjà trop puissants et les traitements deviennent
inopérants, obligeant à augmenter considérablement les doses. On peut ainsi, en
réduisant brutalement les populations, redonner à l’insecte son caractère
solitaire, et en limiter les dégâts. Mais les moyens à mettre en œuvre sont
complexes et couteux. La menace est permanente.
L'ergot de seigle (Claviceps purpurea).
C’est une maladie,
plus concrètement un champignon, qui
peut attaquer le seigle et de nombreuses autres céréales, et qui produit une
toxine hallucinogène, d’où on a tiré le fameux LSD. A faible dose, on a des
visions et un comportement instable,
mais à forte dose, cette toxine est mortelle et produit des symptômes
effrayants. Au Moyen Âge, la maladie était connue en France sous le nom de Feu
de Saint Antoine, ou de Mal des Ardents. On compte, au cours de l’Histoire, des
milliers de victimes directes par empoisonnement, auxquelles s’ajoutent de
nombreuses famines locales dues à la destruction des récoltes contaminées. Les
derniers cas recensés datent de 1951 en France, et c'est aussi une des causes
de la "Grande Peur" de 1789. Ce serait également le responsable de la
crise des sorcières de Salem en Amérique du Nord a la fin du XVIIème siècle.
Actuellement, l'emploi des fongicides permet d'éviter son développement, mais
la maladie reste présente. La menace est permanente.
Le mildiou de la pomme de terre (Phytophtora infestans).
Il s’agit d’une
des maladies les plus communes sur la pomme de terre. C’est aussi un champignon.
Elle est favorisée par les climats doux et humides. Une fois implantée dans une
région, elle est pratiquement impossible à éradiquer. Actuellement, presque
toutes les zones de production de pomme de terre au niveau mondial son infectées.
Au milieu du XIXème siècle, elle apparut en Irlande, où la pomme de terre était
l’aliment de base par excellence. Les ravages furent énormes dans les champs,
occasionnant une terrible famine. Ce fut le principal déclencheur de la grande
émigration des Irlandais vers l’Amérique du Nord. Le mildiou de la pomme de
terre a été l’un des grands responsables de l’insécurité alimentaire dans les
pays européens et américains jusqu’à la découverte de fongicides chimiques
efficaces. En effet jusqu’alors, la production fluctuait au gré des conditions
climatiques. Actuellement, les producteurs peu attentifs ont toujours de graves
problèmes, et certaines années sont très difficiles. La menace est permanente.
Les grandes famines de l'Histoire.
Quand elles n'étaient pas provoquées par
des guerres ou des décisions politiques (cas du «Grand Bond en Avant», lancé en
1958 et qui provoque une des famines les plus meurtrières de l’histoire de
l’humanité), elles étaient provoquées par les problèmes climatiques et leurs
conséquences sur la production d’aliments. Je viens de vous parler de
l’Irlande, mais les cas comparables sont nombreux dans l’Histoire, même si
rarement ils ont eu de telles conséquences socio-politiques. On peut parler des
grands froids, de la grêle, des terribles sécheresses comme celles à répétition
du Sahel, et des longs épisodes pluvieux. Ces derniers sont ceux qui m'intéressent
aujourd'hui. Car chaque épisode pluvieux prolongé peut provoquer de graves désastres
par attaques de champignons et de bactéries. Si les agriculteurs n’ont pas de
moyens pour les contrôler, cela peut conduire à un grave manque de nourriture. Ces
famines, bien réelles tout au long de l'histoire du monde, et responsables de
millions de victimes, sont désormais évitées, dans la plupart des cas, par l'emploi
des fongicides et des bactériostatiques, bref, grâce à l’utilisation des
pesticides.
Les mycotoxines.
Elles n’ont pas vraiment leur place ici,
puisqu’elles n’ont pas d’ »existence historique» dans la mesure où elles
ont été mises en évidence au cours des dernières décennies. Cependant, étant
donné leur fréquence potentielle et le risque mal connu qu’elles représentent,
il est hautement probable qu’elles soient responsables de nombreux problèmes
sanitaires au cours de l’Histoire. De quoi s’agit-il? De substances toxiques
produites par des champignons microscopiques, ou moisissures. Les champignons
qui les produisent sont assez fréquents sur beaucoup de cultures (maïs, blé,
arachide, raisin, pomme, figue…) ou dans certains produits transformés comme le pain, le
vin ou la bière. Il s’agit en particulier de champignons des genres
aspergillus, fusarium, penicillium et alternaria. Il y en a d’autres, parmi
lesquels on peut citer Claviceps purpurea, l’agent responsable de l’ergot de
seigle, dont je viens de vous parler. Les risques et leur gravité varie avec la
toxine, mais on peut y associer certaines irritations et allergies, des baisses
de défenses immunitaires, et même certains cancers. De nombreuses recherches
sont en cours afin de déterminer avec précision l’ampleur des risques. Les
traitements fongicides utilisés empêchent le développement des champignons
responsables, et par conséquent les risques qui découlent de ces contaminations.
L’avancement des recherches confirme leur mise en cause dans de nombreux problèmes
sanitaires. Le risque est encore mal évalué, mais la menace est permanente.
Je
pense que ces quelques exemples sont suffisants pour que vous compreniez que l'utilisation des pesticides ne répond pas d’abord
à une logique productiviste. Elle répond en priorité à une logique sanitaire et
de sécurité alimentaire.
Attention,
ne me faites pas dire ce que je ne veux pas dire. Je ne défends pas
l'utilisation inconsidérée de produits dangereux. Je défends l'utilité des pesticides, je défends le besoin impératif
de poursuivre les recherches pour améliorer ce qui existe, et je défends l’idée
que le populisme et le clientélisme de beaucoup de gens, à trop vouloir
supprimer les pesticides sous des prétextes volontairement exagérés, met en
péril la sécurité et l’indépendance alimentaires.
Je
défends aussi la nécessité de maintenir les pesticides actuels tant qu'ils
n'ont pas de solutions de substitution efficaces. C'est pour cela que dans un
article antérieur (45- sauver les abeilles http://culturagriculture.blogspot.com.es/2015/06/45-sauver-les-abeilles.html) je vous disais que j'étais opposé à
l'interdiction des néonicotinoïdes, quitte à en durcir les conditions
d'utilisation et les contrôles, jusqu'à ce que les agriculteurs disposent de
solutions alternatives.
Rome
ne s’est pas fait en un jour. De même, comme bon français, je suis fier de la
Révolution Française, et d’appartenir au berceau de la démocratie moderne. Mais
la démocratie ne s’est pas faite le 14 juillet 1789. Combien d’allers et
retours (république, empire, monarchie, autres révolutions, guerres) ont-ils
été nécessaires ? Combien de millions de morts a-t-il fallu pour pouvoir,
aujourd’hui, profiter d’un niveau d’égalité et de démocratie jamais connu
jusque-là?
La
protection des cultures s’est maintenue dans une situation stable d’impuissance
durant des millénaires. Puis la Révolution Industrielle s’est accompagnée de la
Révolution Agricole, en permettant l’introduction de la mécanisation, de la
chimie et de la connaissance scientifique. La chimie a sans doute pris une part
exagérée dans la production agricole. Mais il fallait du temps pour s’en rendre
compte.
Après
les excès, généralement involontaires, des premiers temps de l’agrochimie, nous
nous approchons d’une situation d’équilibre, avec des technologies innovantes,
une chimie présente mais non envahissante (quoiqu’en pensent certains) et une connaissance
scientifique qui avance chaque jour.
Apprenons
à être patients. C’est le plus gros défaut de notre civilisation moderne du
XXIème siècle. Nous voulons tout, tout de suite. Mais ce qui est possible dans
certaines activités ne l’est pas dans d’autres.
Nous avons acquis la sécurité alimentaire.
Ça nous parait gagné. Mais non, ce n’est pas gagné. Il faut se battre pour
elle. Elle se gagne jour après jour, grâce aux efforts des agriculteurs, des scientifiques
et des industries agroalimentaires, qui changent le monde petit à petit. Il y a
encore près de 800 millions de gens qui souffrent de la faim dans le monde. C’est
inacceptable, mais c’est pourtant chaque année un peu moins mal. Ça prouve bien
que la sécurité alimentaire n’est pas un acquis.
N’allons
pas plus vite que la musique. Un jour sans doute, nous serons capables de nous
dispenser de la plupart des produits chimiques actuels. Pourquoi? Parce qu’ils
auront été remplacés par d’autres solutions et produits chimiques ou non
chimiques moins problématiques, et parce que les biotechnologies et la
connaissance scientifique l’auront permis. Mais nous n’y sommes pas encore.
J’espère
juste, par cet article, vous faire comprendre que la chimie et les pesticides sont des bienfaits. Il y a des risques
et des inconvénients? Tout le monde en est conscient. Mais la chimie nous
apporte de grandes choses au quotidien, dont nous ne nous rendons même plus
compte.
Laissez
les choses évoluer. Si vous voulez qu’elles aillent plus vite, faite pression
pour cela. Mais n’exigez pas des mesures draconiennes sans en connaitre les
conséquences.
Nos acquis actuels restent fragiles, et des décisions excessives
pourraient nous conduire à des retours en arrières graves de conséquences.