LE GRAND SALON DES PRODUITS FRAIS
Sous le nom de FRUIT LOGISTICA a lieu chaque année à
Berlin en Février, un grand salon professionnel consacré aux fruits et légumes
frais. Il en existe un certain nombre d'autres, répartis à travers le monde (Madrid,
Hong Kong, Sao Paulo ou Dubaï, entre autres) et tout au long du calendrier.
Mais celui de Berlin est actuellement le
plus important au monde.
Il faut dire que la date est particulièrement bien
choisie, puisqu'elle se situe avant le début de la plupart des récoltes
importantes de l'hémisphère nord, marquant en quelque sorte de coup d'envoi à
la campagne agricole printemps-été de l'année en cours.
Pour l'édition 2017, son 25ème anniversaire, 84 pays
étaient représentés parmi les plus de 3.100 exposants, et plus de 75.000
visiteurs professionnels en provenance de plus de 130 pays y ont développé des
contacts.
C'est un salon de produits agricoles, spécialisé en
fruits et légumes, et pourtant, vous n'y trouverez ni tracteurs, ni machines
pour les champs, ni outils.
C'est un salon commercial, trois jours au cours desquels
vont se négocier les principales transactions de fruits et légumes frais
destinés aux consommateurs pour les mois suivants. Une grande partie de vos
achats des mois de mars à octobre auront fait l'objet de négociations et
d'accords commerciaux durant la Fruit Logistica.
C'est un salon dans lequel l'agriculteur
n'a pratiquement pas sa place. Les acteurs y sont les vendeurs, et les
acheteurs.
Nous avons d'un côté les supermarchés et
les grossistes dans le rôle de l’acheteur, qui arpentent les couloirs, pour
aller à leurs rendez-vous, ou pour dénicher une nouveauté, une exclusivité ou
quelque chose que leurs concurrents n'auraient pas.
Nous avons de l'autre côté les coopératives, les
groupements de producteurs, les expéditeurs, ou quelques gros producteurs
individuels, qui présentent leurs produits, leur image, leurs méthodes de
travail, leurs spécificité, quelque chose que leurs concurrents n'auraient pas,
afin d'attirer l'acheteur potentiel.
On y trouvera aussi tout ce qui se fait de
plus moderne en matière de tri et de calibrage, de froid pour la conservation,
de technologies non chimiques de conservation, de chimie compatible avec les
aliments, d'emballage, d'étiquetage, ainsi que d'informatique spécialisée et de
transport frigorifique.
Autrement dit, on va y
trouver tout ce qui va faire qu'un fruit ou un légume brut, fraichement
récolté, soit transformé en un "objet de désir" pour les
consommateurs.
Il y aura des conférences pour les professionnels, au
cours desquelles seront présentés les dernières tendances des marchés, les
préoccupations du public, les enquêtes de consommation. Elles seront aussi
l'occasion de lancer de nouveaux protocoles de qualité, de nouvelles techniques
de conservation, de nouveaux types d'emballages, de nouvelles stratégies
commerciales.
On va y parler volumes, programmes, promotions, semaines,
éventuellement prix (mais ça, c'est un critère qui se négocie au jour le jour, pas plusieurs mois à
l'avance). On y parlera aussi méthodes et techniques de production, résidus,
certification, critères de qualité.
L'unité de vente y est souvent le camion, ou le
container, ou plus exactement le camion par jour ou le camion par semaine. Des
volumes gigantesques vont y être négociés.
Il faut dire que c'est le lancement de la principale
période de consommation des principaux marchés de consommation de l'hémisphère
nord, de loin le plus peuplé et le plus riche.
Les départements marketing de chacune des entreprises
présentes aura fait des merveilles de design, de présentation, de couleurs,
d'animation, de dégustation, de musique.
On y respire la gaieté artificielle, le jeu de qui trompe
qui. Il faut avoir l'air joyeux, mais pas trop, riche, mais pas trop, sérieux,
mais pas trop. Et surtout, il faut inspirer confiance et professionnalisme.
Il faut attirer le regard de nouveaux clients potentiels,
sans paraitre en faire plus que la réalité.
L'ambiance y est très différente de celle des salons
agricoles. On sent que le public à séduire n'est pas le même. C'est plus
sophistiqué, certains ne lésinent pas sur les moyens.
Le côté de la production fera des promesses
de volumes, de calendrier de production, de qualité, de résidus de pesticides,
de respect de l'environnement, de respect des lois sociales, de traçabilité,
d'hygiène, d'emballage, d'étiquetage.
On y va avec l’inquiétude de trouver des
clients pour tous les volumes prévus, pour tous les niveaux de qualité qu’on
risque de devoir vendre, avec la priorité de séduire et fidéliser le client,
avec des engagements destinés à maintenir les prix au meilleur niveau possible.
L'acheteur exigera une traçabilité, des
engagements de résidus de pesticides, un respect des lois sociales, un type
d'emballage précis, un type de qualité, un étiquetage, une parfaite logistique.
Il y va avec la préoccupation de trouver les produits qui
correspondent avec les objectifs fixés pour cette année, de trouver les
fournisseurs capables de respecter à la fois ses cahiers des charges et ses
besoins en volumes, et avec le besoin de trouver les garanties suffisantes de
ne pas avoir de problème, ou en tout cas, en cas de problème, de pouvoir démontrer
qu’il n’y est pour rien, et en rejeter la responsabilité sur le fournisseur. C’est
une question de réputation pour la marque qu’il représente.
On y trouvera des accords qui permettront à
chacun de préparer la récolte selon ses propres critères, mais de manière
compatible avec les engagements pris.
On y parlera, discrètement, des conséquences du
non-respect des accords, donc des sanctions et pénalisations, qui vont toujours
de l’acheteur vers le vendeur. On y parlera aussi de commissions et de
rétro-commissions. C’est avant tout du commerce, ne l’oublions pas.
On parlera à peu près le même langage, les uns iront avec
des besoins et des exigences, les autres avec des prévisions et des promesses.
Puis chacun rentrera chez soi, content, ou pas, des
engagements pris, et la campagne commencera, avec son lot prévisible
d'impondérables, la difficulté habituelle à respecter les accords.
Du côté de la production, donc du côté du vendeur, on
fera tout pour tenir les engagements pris. Les équipes commerciales mettront
alors en branle tout le nécessaire pour que la production, souvent absente dans
la négociation, puisse respecter les engagements pris.
On se rendra alors compte que certains de ces engagements
sont intenables, ou nécessiteront des investissements imprévus, et pour
lesquels il faudra montrer des trésors d'inventivité pour pouvoir les tenir.
Les inévitables imprévus (climatiques, de
qualité, de volume, de logistique) obligeront à des renégociations, avec deux
objectifs fondamentaux, maintenir les prix au meilleur niveau possible, et
surtout sauvegarder sa réputation, ne pas se brouiller, car il faudra continuer
à vendre, année après année. Mais les clauses de pénalisation entreront alors
en action.
Du côté de la distribution, donc de l'acheteur, on
rentrera satisfait d'avoir pu prendre les engagements destinés à respecter la
programmation, tout en sachant qu'il sera à peu près impossible que la campagne
se déroule comme prévu. Et au moment de vérité, on fera tout pour serrer les
prix, en fonction du marché, afin d'assurer les marges prévues. Si la qualité
n'est pas au rendez-vous avec les fournisseurs prévus, il faudra peut-être en
chercher d'autres. Et si les prix ne permettent pas de dégager les marges prévues,
il faudra négocier les achats à la baisse, mettre en route les pénalisations
(ou trouver des prétextes qualitatifs), car le prix de vente au consommateur ne
pourra pas varier beaucoup.
Après que les accords aient été passés dans
la bonne humeur, il est probable que la campagne se déroulera avec un niveau
élevé de tension que les accords en question auraient dû éviter.
Mais ce serait oublier que nous parlons d'aliments,
produits par des êtres vivants, qui vivent et réagissent à de nombreuses
stimulations, dont la qualité est variable en fonction du climat, et qu'il est
impossible de prévoir, plusieurs mois à l'avance, comment se déroulera la
campagne.
Au moment de passer ces accords, tout le monde oublie,
plus ou moins volontairement, que nous ne parlons pas de produits manufacturés,
mais d'aliments dont la qualité n'est jamais constante, car elle est exposées à
de très nombreux facteurs sur lesquels le producteur n'a pas de prise.
Bref,
on oublie toujours que nous parlons d'agriculture.
Mais la Nature se charge
toujours de rappeler tout le monde à la réalité.
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