LES PLANTES ONT LA PAROLE
Le 24 février, j'ai assisté à la rencontre
annuelle sur la programmation de l'irrigation en agriculture, organisée ici, à
Séville, par une entreprise locale consacrée à la technologie appliquée à l'irrigation,
Optiriego (un peu de pub gratuite ne fait jamais de mal).
Il est tout à fait intéressant d'observer
l'évolution des possibilités offertes par les nouvelles technologies.
Quand je suis entré dans le métier, en
1983, la grande nouveauté en matière de gestion de l'irrigation était le
tensiomètre, un petit appareil rempli d’eau placé dans le sol, qui mesure la
disponibilité de l'eau en mesurant la force d'aspiration nécessaire pour
l'extraire. De cette force, on déduit l’énergie dont a besoin la plante pour
absorber l’eau.
Photo Irrometer (fabricant américain de
tensiomètres)
Photo Irrometer (fabricant américain de
tensiomètres)
Cet outil, encore utilisé pour sa grande
fiabilité, mais dont l’utilité est limitée car il est peu pratique et peu
polyvalent, a supposé une petite révolution dans la gestion de l'irrigation. On
était enfin capable de mesurer de manière objective la disponibilité de l'eau
dans le sol.
Jusque-là, l’agriculteur surveillait
l’humidité du sol avec un coup de talon dans les mottes de terre ou en
gratouillant un peu superficiellement. Quelques rares passionnés utilisaient
une tarière manuelle qui leur permettait une appréciation subjective, lente et
pénible de l’humidité au niveau des racines.
Quelques années plus tard, sont apparues
des sondes de différents types, toutes destinées à mesurer l'eau dans le sol.
Toutes ces sondes sont toujours en usage et ont permis de grands progrès dans
la rationalisation de l'emploi de l'eau en agriculture, et la réduction du
gaspillage de l’eau douce.
En associant ces capteurs avec des systèmes
d'irrigation plus modernes, la consommation réelle d'eau a pu être divisée par
deux ou plus.
Photo alphaomega-electronics (vente de
matériel électronique)
Photo Ig4 (entreprise espagnole de conseil
en irrigation et nutrition végétale)
A la
même époque, quelques chercheurs un peu décalés essayaient d'inventer des capteurs
capables de mesurer la réaction des plantes.
Avec le temps, ces inventions, longtemps
laissées au rang de purs outils de recherche ou d’inventions un peu loufoques,
soit par leur complexité d'utilisation, soit par leur cout, soit par la
difficulté à interpréter les informations, ont réussi progressivement à trouver
leur place dans les fermes agricoles.
Il s'agit par exemple
- Des informations disponibles à l’échelle du champ, de la ferme ou de la
région, grâce à la télédétection par satellite, par avion ou par drone, qui
permettent une appréciation de l’état des cultures et de sa régularité
n de photographie par infrarouge
n de caméras thermiques, qui donnent une information sur la photosynthèse ou
la température du feuillage,
n d’autres systèmes par ultra-violet, par ultrasons ou autres, qui permettent
de mesurer l’état des nappes phréatiques souterraines, ou informer sur d’autres
types de mesure du végétal.
Photo Farmstar-expert (entreprise française
de conseil en agriculture)
- Des mesures réalisées au niveau même de la plante, comme par exemple
n des capteurs de photosynthèse, qui informent de l'état de la plante en
mesurant les variations de photosynthèse,
n des capteurs de flux de sève, qui mesurent la vitesse de circulation de la
sève brute dans le tronc,
n des dendromètres, qui mesurent les variations micrométriques du diamètre de
la branche,
n ou autres chambres à pression, capteur de turgescence, etc.
Il s’agit de mettre en relation les données
climatiques, les données d’humidité du sol et d’irrigation, et les mesures du
comportement de la plante, pour pouvoir interpréter la réaction de la culture
aux techniques mises en place par l’agriculteur.
Cette station de contrôle en verger mesure
température, humidité, pluviométrie, débit et heures d’irrigation, humidité du
sol à trois niveaux, et la réaction de la plante grâce à un dendromètre de
branche et un autre de fruit.
Un dendromètre de branche
Jusque-là, l'agriculteur observait des
symptômes qui lui permettaient de savoir si la plante allait bien, en gros,
avec le défaut que dans la plupart des cas, lorsque le symptôme apparait, la
plante est dans une situation délicate depuis déjà pas mal de temps, et parfois
de manière irréversible.
Ces technologies permettent de détecter les
problèmes de la plante avant qu'elle ne les extériorise, et permettent aussi à
l’agriculteur de comprendre comment la plante réagit aux pratiques culturales,
donc de les adapter.
Comme l'agriculture, par définition,
s'intéresse en premier lieu à la production, la première conséquence de la
réactivité que donnent ces technologies à l'agriculteur, est une amélioration
de la productivité sans besoin de plus d'intrants, au contraire, en les appliquant
au bon moment, à la bonne dose et au bon endroit.
Ces technologies permettent d’augmenter
très substantiellement la durabilité de l’agriculture, en améliorant
l’efficience de toutes ses pratiques, en les traduisant par du rendement
productif et qualitatif, accompagné d’une réduction de son impact
environnemental.
Quand on est agriculteur, comme c’est mon
cas, et qu’on a le nez tous les jours dans la gestion quotidienne, ou qu’on
est, comme c’est le cas de tout le monde, un consommateur davantage préoccupé
par ce qu’on met dans notre assiette que par les problèmes de ceux qui le font,
on ne voit pas forcément la portée de ces changements technologiques.
En fait, tous ces capteurs et systèmes
ouvrent une nouvelle voie d'évolution de l'agriculture. C’est même plus que ça,
c’est une authentique révolution, discrète et silencieuse, mais d’une portée
hors du commun.
C'est la première fois dans l'histoire de
l'agriculture (il ne s’agit que des derniers 12.000 ans !), qu'on donne en
quelque sorte, la parole aux plantes.
La plante est notre outil de production,
nous lui demandons de produire toujours plus et mieux, mais nous ne savions ou
ne pouvions pas tenir compte au jour le jour de ses réactions, avant tout parce
qu’il n’existait pas de moyens de mesures directe. On mesurait le sol et on en
déduisait le comportement de la plante, ou on pesait le bois éliminé à la
taille et on en déduisait, pour l’année suivante, des mesures à prendre.
Or nous sommes désormais capables de
comprendre au moins une partie de ce que nous dit la plante, et d’en tenir
compte dans la gestion quotidienne.
Nous sommes en train de donner la parole
aux plantes.
C’est un changement vraiment profond, qui
n’influe pas seulement sur les techniques agricoles, mais aussi et surtout sur
le rapport intime entre l’agriculteur et la plante, donc sur les mentalités, ce
qui est beaucoup plus difficile.
Je vous le dis, c’est une Révolution !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire