NATUREL VS SYNTHÉTIQUE – LES PHÉROMONES
À la fin des années 80, j'étais jeune
conseiller en production fruitière dans le Sud-Est de la France pour un
groupement technique spécialisé, le GRCETA de Basse Durance.
Après que le groupe ait été contacté par
une société australienne, j'ai eu l'occasion de participer aux premiers essais
en vue de tester à grande échelle la protection contre la tordeuse orientale du
pêcher (un des principaux problèmes phytosanitaires dans cette région) par
l’usage des phéromones, selon la technique dite de confusion sexuelle. Cette société
australienne cherchait à tester son diffuseur et sa phéromone en conditions de
forte pression du ravageur. Logiquement, elle voulait le faire dans la région
internationalement alors connue comme étant la plus problématique.
Il faut vous dire qu'à l’époque, la
tordeuse orientale s'était convertie en un vrai cauchemar pour les producteurs
de pêches de la région. Les populations du ravageur étaient extrêmement élevées.
On constatait certains problèmes de perte d’efficacité des insecticides
habituels, obligeant les agriculteurs à des interventions pesticides fréquentes
avec des niveaux d'efficacité insuffisants, donc des problèmes tant techniques
qu'économiques. On ne parlait pratiquement pas à l'époque des conséquences
environnementales, mais vu dans la perspective actuelle, à la limite, ça fait
peur...
Toujours est-il que cette société
australienne arrivait jusqu'à nous avec cette technique innovante, nous
plongeant dans un abîme de réflexion, et de doute.
Imaginez il y a 30 ans, la proposition de
résoudre un problème critique d’insectes sans insecticides. Pour nous,
conseillers, en qui les agriculteurs du groupe confiaient parfois aveuglément
pour les aider à résoudre leurs problèmes, ça paraissait une vraie folie. Nous
étions très motivés par l’innovation, mais sincèrement, vu la gravité de la
situation dans certains secteurs, nous étions aussi très méfiants.
La zone expérimentale fut choisie dans un
secteur concret de Provence qui se trouvait dans une situation tellement critique
vis à vis de la tordeuse orientale, que certains agriculteurs commençaient à
envisager une reconversion des cultures face à l'impossibilité d’en contrôler
les dégâts.
Après toute une saison d’expérimentations,
la surprise des agriculteurs face aux
résultats faisait plaisir à voir. Sans être merveilleux, ils étaient
supérieurs, sans insecticide, au programme renforcé qu'il avait alors besoin de
mettre en œuvre, et qui comprenait plus de 15 interventions chimiques.
Au bout de deux ans d’essais, la conclusion
fut que pour résoudre une situation très dégradée, il était nécessaire de
passer par une première phase qui combine la protection chimique avec la
confusion sexuelle, le temps de réduire suffisamment le niveau d'infestation (1
à 2 ans). A partir de ce moment, la confusion seule suffit à éviter les dégâts.
 cette époque, en tant que technicien
participant aux essais, j'avais en permanence dans ma voiture un certain nombre
de diffuseurs afin de pouvoir en remplacer, ou de compléter une dose dans un
endroit difficile. La conséquence?
J'étais poursuivi tous les jours, tant dans
la voiture qu’au dehors, par une horde sauvage de mâles de tordeuse orientale,
persuadés que j’étais la princesse de leurs rêves...
Les phéromones sont des substances
naturelles, émises par des organismes vivants pour transmettre des informations
à leurs congénères.
Leur rôle est très connu chez la plupart des
animaux, et chez certains végétaux.
Ce sont des composés en général volatils, produits
par des glandes exocrines. A la différence des hormones, conçues pour être
utilisées par l’organisme de manière interne, les phéromones sont produites
pour être libérées à l’extérieur de l’organisme, afin de transmettre un message
ou un signal aux individus de la même espèce. Leur rôle dans la reproduction
sexuée des insectes est très connu et a fait l'objet de nombreuses études.
C'est grâce aux phéromones sexuelles que,
par exemple, les lépidoptères (les papillons) mâles sont capables de localiser
les femelles, leur permettant l'accouplement et la continuité de l'espèce.
Chaque insecte a son propre "bouquet
aromatique" afin de n'attirer des individus que de sa propre espèce.
En plus, les phéromones ont différents
types de rôles comme l'attraction sexuelle, l'alarme, l'agrégation, la
territorialité, et existent chez presque tous les animaux, même chez les
humains. Les abeilles s’en servent pour indiquer les zones fleuries, les
fourmis pour marquer leurs chemins, les chiens et les chats pour marquer leur
territoire, les humains en situation de peur ou de désir sexuel par exemple.
On les trouve aussi dans les produits conçus
pour calmer ou pour repousser les chiens ou les chats, ou même pour vous rendre
irrésistible en boite de nuit.
Le principe de la technique de confusion
sexuelle est donc le suivant.
La phéromone contenue dans le diffuseur est
la même que celle qu'émet la femelle de tordeuse orientale pour que le mâle
soit capable de la retrouver, et ainsi puisse s'accoupler. Le diffuseur est
réalisé dans un plastique poreux qui permet une diffusion (d'où son nom)
progressive de la phéromone durant plusieurs semaines.
Dans la nature, une femelle émet la
phéromone qui est véhiculée par l’air. Le mâle capte ce message olfactif grâce
à un récepteur spécifique et en suit la piste jusqu’à ce qu’il retrouve la
femelle.
La technique de confusion sexuelle consiste
à répartir un grand nombre de diffuseurs dans les parcelles cultivées. De cette
manière, les points d’émission sont si nombreux que le mâle est pratiquement
incapable de retrouver la femelle.
L’accouplement est perturbé, la
reproduction n’a pas lieu, donc l’insecte n’est plus un problème pour
l’agriculteur.
La
protection traditionnelle consiste à tuer les insectes nuisibles présents pour
éviter qu’ils se reproduisent et provoquent des dégâts aux cultures.
La
confusion sexuelle consiste à éviter que les insectes nuisibles soient capables
de se reproduire. Ils ne sont donc pas présents dans la culture et ne
provoquent pas de dégâts.
C’est un profond changement dans le concept
de protection des cultures. C’est une technique de prévention du dégât.
Donc nous avons une technique qui marche
bien, et qui permet d'éviter l'application de produits chimiques sur la
culture. On peut noter d'ailleurs que les phéromones sont utilisées en
agriculture dans au moins 3 techniques différentes:
La
confusion sexuelle, qui consiste à en diffuser une très grande
quantité par hectare, de manière à perturber les mâles dans leur système de
rapprochement des femelles, réduisant drastiquement les possibilités
d'accouplement, donc de reproduction. Les populations de ravageur baissent
"naturellement", et par voie de conséquence, les dégâts aux cultures.
Le
piégeage de surveillance, qui consiste à placer quelques pièges à
phéromones dans la ferme, de manière à capturer des individus et faire une
surveillance des populations (début des vols, pics de vols, moment des
éclosions des pontes donc des risques). Cette technique, la première
historiquement parlant, à utiliser les phéromones, permet de situer avec une
grande exactitude le moment d'intervention avec des insecticides, synthétiques
ou naturels. Ça a été l'un des fondements de la Production Intégrée.
Le
piégeage massif, qui consiste à placer des pièges avec une
forte quantité de phéromones, en nombre réduit par hectare, afin de capturer un
grand nombre d'individus, ce qui permet de réduire, sans application de pesticide,
la population du ravageur. Cette technique s’emploie beaucoup avec des
attractifs alimentaires, plus qu’avec des phéromones.
La technique de confusion sexuelle s'est
beaucoup développée et sert désormais à protéger les cultures, en particulier
en vignes et en vergers, contre lépidoptères, diptères, hyménoptères et
coléoptères principalement.
Bien évidemment, la technique a très vite
été autorisée en agriculture biologique. C'est logique, une technique qui
permet une protection efficace sans utilisation de pesticides, ni synthétiques,
ni même naturels, ça mérite l'attention.
Mais
au fait, ces phéromones, libérées en grande quantité et de manière permanente,
d'où viennent-elles?
Non, il n'y a pas des nuées d'ouvrier
pressant sur l'abdomen de milliards de papillons femelles pour en tirer à
chaque fois une microgoutte de phéromone.
C'est de la chimie, pure et dure.
Ces phéromones sont synthétiques, copies
précises des naturelles, issues de la chimie, de la vilaine chimie.
Elles sont ensuite enfermées dans des
diffuseurs en plastique, issus également de la vilaine chimie.
Mais ces produits synthétiques, issus de la
chimie, libérés dans l'air des cultures, peuvent-ils atteindre les aliments?
Sans aucun doute. Mon expérience personnelle
des années 80 m'a largement démontré que ces phéromones se déposent sur tout ce
qui les entoure. Sans quoi, je n’aurais pas été poursuivi par tous ces mâles
confus et excités !
Leur effet est fugace, c'est vrai, mais la
réalité est là.
Alors,
l'agriculture biologique autoriserait-elle l'utilisation à grande échelle de
produits chimiques synthétiques qui entrent en contact direct et permanent avec
les aliments?
Eh
bien oui, absolument.
Image : https://endhairloss.eu/wp-content/uYSDGUysdgp87/2014/04/Organic-products-to-stop-hair-loss.png
Il faut pourtant relativiser la gravité du
cas. Ce sont des produits synthétiques, oui, mais ce sont des copies exactes de
molécules naturelles.
Comme dans le cas de l'azadirachtine, non?
Pour l’azadirachtine (et vous verrez
prochainement que ce n’est pas un cas unique), on refuse la copie du produit
naturel, car elle est synthétique, donc incompatible avec l'idéologie du bio,
malgré tous les avantages techniques et environnementaux qu’elle apporte par
rapport à l’extraction et à l’utilisation de la substance naturelle d’origine.
Sauf que cette interdiction de principe,
discutable en soi, mais cohérente par rapport à l’idéologie bio, n’est pas
toujours appliquée. Il y a des situations dans lesquelles une entorse au
règlement est possible.
Remarquez bien que le consommateur de
produits bio, finalement le moteur du système, n’est pas informé de ces
changements dans les règles du jeu.
L’information qu’il reçoit reste la même.
Pas de chimie dans le bio.
Mais que dirait-il, le consommateur de bio,
convaincu qu’il n’y a pas de chimie dans le bio, et qu’il prend vraiment soin de sa santé et de la
planète, s’il apprenait qu’on lui ment au quotidien, qu’il se fait rouler par
ceux-là mêmes en qui il a placé sa confiance ?
Alors,
deux poids, deux mesures?
Il faut bien reconnaitre que l’agriculture,
ce n’est pas facile, et qu’il faut bien protéger les cultures des maladies et
des ravageurs, même en bio. Et s’il n’y a pas de solution bio, on va bien en
trouver une, presque bio. Il ne faudrait quand même pas perdre le marché.
Ce
n’est pas de la confusion sexuelle, c’est de la confusion intellectuelle.
balıkesir
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malatya
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KZSTQA