VENERABLES ANCÊTRES
Dans deux petits coins d’Espagne,
l’un à cheval sur trois communautés Autonomes (Aragon, Catalogne et Communauté
Valencienne), l’autre aux confins des provinces de Castellón et de Teruel, il
existe deux zones, la première nommée Territorio del Senia, l’autre nommée
Maestrazgo (Teruel) ou Baix Maestrat (Castellón), dont la richesse est
exceptionnelle. Ce sont leurs oliviers, leurs vieux oliviers millénaires de la
variété autochtone et traditionnelle appelée Farga.
Pourtant cette richesse a
été sur le point de disparaitre, dans les années 2000, car le marché de l’huile
d’olive devenant de plus en plus difficile, les agriculteurs, propriétaires de
ces véritables monuments historiques, ont été tentés de les arracher pour
convertir leur production à des variétés et des méthodes plus modernes et plus
productives, ou même à se reconvertir à d’autres productions.
Heureusement, avant que tout
n’ait été arraché, se sont créés deux collectifs pour en sauver le plus
possible.
Les arbres ayant une
circonférence d’au moins 3m50 mesurée à 1m30 du sol ont environ 1000 ans, ceux
ayant une circonférence de 6 m ou plus ont environ 2000 ans. Certains
atteignent une circonférence supérieure à 9 mètres. Bref, c’est toute l’histoire
de l’Espagne qu’ont connu ces arbres.
Le nombre d’arbres recensés
est d’un peu plus de 4000 exemplaires dans chacune des deux zones. C’est à la
fois beaucoup et très peu.
Afin de les préserver, et
afin que les agriculteurs puissent en vivre dignement, des cahiers des charges de
production exigeants ont été établis, afin de faire de l’huile extraite un
produit d’exception, comme le méritent ces arbres d’exception. Le travail est
entièrement manuel, afin d’apporter les meilleurs soins à ces vénérables
ancêtres de notre agriculture actuelle.
Voyez donc (ici vous
trouverez aussi des témoignages de grands cuisiniers sur la qualité de l’huile)
Ou aussi
ou encore
Evidemment, plusieurs
marques se sont lancées dans un marketing opportuniste, proposant de l’huile d’arbres
de 500 ans, de 1000 ans, ou 2000 ans. Mais bon, on ne peut pas leur en vouloir.
Si les cahiers des charges sont respectés, et que c’est un moyen pour
sauvegarder à la fois un patrimoine exceptionnel, et une agriculture
traditionnelle dans des zones rurales plutôt défavorisées, alors j’applaudis.
L’idée est bonne, la
sauvegarde est en route.
C’est aussi un hommage à
toutes ces générations successives d’agriculteurs qui ont su maintenir, prendre
soin et transmettre ce patrimoine durant des siècles.
L’huile est chère, bien sûr,
mais elle est produite de manière très traditionnelle, et surtout, elle a une
petite saveur historique qui lui donne un caractère unique.
Au fait, ce n’est pas de la
pub, mais je trouve que l’initiative est intéressante et mérite d’être connue.
Et si par ce post, je les aide à améliorer un peu leurs ventes, j’aurai la satisfaction
d’avoir participé, un tout petit, à ce joli projet.
L’Espagne est un des pays
européens à avoir été relativement préservé par la grande vague de froid de
1956, qui tua la quasi-totalité des oliviers, surtout en France et dans le Nord
de l’Italie. Il reste donc beaucoup d’arbres millénaires à travers le pays,
mais nulle part aussi nombreux et concentrés que dans le Maestrazgo ou le Sénia.
Or ces arbres millénaires
isolés ont trouvé un autre destin ces dernières années, beaucoup moins
romantique. La bulle immobilière des années 2000 en Espagne a occasionné des
arrachages massifs d’oliviers qui se retrouvaient dans des zones devenues
urbanisables. Beaucoup ont été purement et simplement brulés, parfois débités
pour en faire du bois de cheminée.
Mais une mode s’est alors
instaurée : la vente de grands arbres entiers pour les jardins, à travers
le monde entier. L’olivier est un arbre qui supporte généralement bien la
transplantation, si le travail est bien fait. Et l’olivier millénaire est
devenu un objet de spéculation. Malheureusement, la nature humaine étant ce
qu’elle est, la justification urbanistique a fait long feu, et ces arbres sont
simplement devenus des marchandises destinées à satisfaire les caprices de gens
riches. La bulle immobilière a explosé, l’Espagne est entrée dans une crise
profonde et durable, mais les arbres millénaires continuent d’avoir un marché
tout à fait lucratif. Un millionnaire français a ainsi dépensé 64.000€ pour un
olivier millénaire du Portugal.
Les sites d’achats d’oliviers
millénaires ou plusieurs fois centenaires sont nombreux sur Internet.
Or transplanter un arbre
millénaire ne se fait pas aussi facilement que pour un arbre de quelques
dizaines d’années. Et beaucoup de ces vénérables vestiges vivants ne survivent
pas à l’opération. Ce patrimoine historique, culturel et agricole est en train
d’être en grande partie détruit par ces pratiques juteuses.
Une pétition circule
actuellement. En effet, en Espagne, seule la Communauté Valencienne a instauré
une loi pour les préserver. Je vous propose de la signer, si vous pensez, comme
moi, que ce patrimoine est exceptionnel et mérite d’être préservé.
Au fait, c’est quoi une
culture moderne de l’olivier ?
Un des grands problèmes de
l’olivier, c’est le coût de la récolte. Le fruit est petit, les arbres
volumineux, il faut donc des échelles, et au prix horaire de la main d’œuvre,
le kilo d’olives est très cher. Mais quand en plus, vous savez qu’il faut en
moyenne 5 kilos d’olives pour extraire 1 litre d’huile, c’est forcément une
production chère, qui n’est pas toujours payée à l’agriculteur à un prix
suffisant. Il doit donc chercher le moyen de réduire ses coûts, afin d’avoir de
meilleures chances de pouvoir vivre de sa culture.
Voici une petite série de 4
vidéos, extraites d’Internet, qui illustrent les techniques de récolte
actuellement utilisées par les agriculteurs.
Tout d’abord, la récolte
manuelle traditionnelle telle qu’elle se pratique encore (mais de moins en
moins) ici, dans la région de Séville. Cette technique est encore très utilisée
pour l’olive de table, qui supporte très mal les chocs. C’est aussi celle
choisie par les deux zones de production d’huile d’oliviers millénaires.
Donc depuis quelques
décennies, beaucoup de gens travaillent sur la possibilité de mécaniser la récolte.
En gros, il existe trois voies d’évolution.
La première voie a
simplement remplacé la main par un vibreur à main. Le sol est couvert par un
filet, l’ouvrier vibre les branches les unes après les autres, les olives
tombent sur le filet qui est ramassé ensuite. Cette technique a l’avantage de s’adapter
à n’importe quel type d’arbres, qu’ils soient jeunes, vieux, avec des troncs
gros ou difformes. En plus elle ne provoque pratiquement pas plus de dégâts à
la frondaison que la récolte manuelle.
La deuxième voie, développée
depuis plusieurs décennies, est le vibreur sur tracteur, qui provoque la chute
du fruit, soit au sol sur des filets, soit dans un grand entonnoir déployé sous
l’arbre. Les arbres ont une formation traditionnelle. La technique s’adapte
bien à des troncs de jusqu’à 40 cm de diamètre approximativement.
La troisième voie, plus
récente, s’adapte à des arbres plantés très dense, dont le gabarit est maintenu
mécaniquement, et qui pour former une haie. La récolteuse enjambe l’arbre, et
la récolte se fait par des barres qui vibrent et secouent l’ensemble de la
frondaison. Les vergers les plus âgés ont une vingtaine d’années.
Pour mon goût personnel, la
mécanisation, quelle qu’elle soit, est toujours traumatisante pour l’arbre.
Mais tant qu’à choisir, je préfère la première ou la deuxième solution, qui permettent
de respecter la plante dans sa formation et sa croissance.
Les prouesses technologiques
nécessaires pour arriver à concevoir et fabriquer ces machines sont
remarquables, et admirables. Mais j’ai un grand respect pour les plantes, et
j’ai toujours l’impression que ces grosses machines sont une sorte de mauvais
traitement. C’est sans doute mon côté romantique.
Mais la démocratisation d’un
produit comme l’huile d’olive, dont les bienfaits sont établis, et
l’amélioration des conditions sociales, donc des salaires, conduit
inévitablement vers ces techniques.
Et l’attrait de l’argent
facile détruit une grande partie de ce patrimoine historique.
La préservation de ces
vénérables oliviers millénaires n’en a que plus de mérite. Ces arbres sont la
mémoire vivante de 2000 ans d’évolution du Sud de l’Europe. S’ils pouvaient
parler, ou si nous savions les entendre, ils auraient beaucoup de choses à nous
apprendre.
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