dimanche 19 janvier 2014

2- Métamorphose



Vous vous souvenez sûrement que, dans ma première publication (la nº 0), je vous disais que certains points de vue allaient probablement engager d’intéressants débats. Et bien ça y est déjà, mais pas de la manière que j’imaginais. J’ai reçu, de manière indirecte puisque c’est arrivé sur le compte Facebook de ma femme, une réaction qui est, en seulement quelques mots, le résumé presque parfait de la plupart des fausses idées qui circulent sur l’agriculture conventionnelle.

Je n’avais pas prévu de vous parler de ça de cette manière et aussi tôt dans la vie de mon blog, mais, voyant ça, je crois finalement que ça vaut le coup d’aborder le sujet dès le départ. D’autant plus que c’est une des raisons qui m’ont motivé pour démarrer ce blog.

Ça me servira aussi à vous illustrer le mot métamorphose que j’ai utilisé le premier jour. Je ne l’ai pas choisi par hasard. C’est réellement ce qui se passe actuellement.


Mais d’abord, le commentaire. En voici le contenu exact:

“J’ai acheté et vendu des phytosanitaires pendant 9 ans. J’ai vu des 35 tonnes décharger des palettes de poisons dans des entrepôts sans aucune ventilation où le sol devenait rouge, vert!!! A cause de bidons éventrés!!! On a inhalé tous, la clope au bec et je ressens encore les odeurs!!! La vente de certains phytos dangereux est interdite en France mais bafouée avec des camions qui passent encore les douanes… L’Espagne et l’Italie, là où sont les cultures maraîchères permanentes, nous font manger des produits dangereux même sous étiquette “bio”!!! Sans compter de l’esclavagisme moderne : les cueilleurs venus d’Afrique, sans papier, sous-payés et vivant dans des conditions hors normes d’hygiène!!!”



J’espère que vous comprendrez que je ne puisse pas laisser passer ce tissu de bêtises sans réagir. Nous allons donc en faire une analyse de texte en 4 points.

1er point.

“J’ai acheté et vendu des phytosanitaires pendant 9 ans. J’ai vu des 35 tonnes décharger des palettes de poisons dans des entrepôts sans aucune ventilation où le sol devenait rouge, vert!!! à cause bidons éventrés!!!”

D’abord je voudrais dire que  ça me hérisse quand on utilise le mot “poison” pour désigner les produits phytosanitaires. Il est évident que ce sont des produits dangereux, parce qu’ils sont concentrés avant leur utilisation, donc potentiellement toxiques sous leur format initial (avant application). C’est la même chose pour les pesticides “bio” qui, pour les mêmes raisons, sont également dangereux avant leur utilisation, ou encore pour les produits pharmaceutiques, bien que personne n’en parle comme étant des poisons. C’est la dose qui rend le produit utile ou dangereux.

Cette personne ne travaille plus dans ce secteur depuis longtemps. Les pratiques désastreuses des années 50 à 90 sont aujourd’hui interdites, au moins en Europe, et les pénalisations sont lourdes. La règlementation concernant le transport, le stockage, la manipulation et la vente de ces produits est extrêmement sévère et contrôlée. Et je ne connais aucun négociant en phytosanitaires qui, aujourd’hui, puisse se permettre de gaspiller des produits aussi coûteux.

Ensuite, les produits aussi ont changé, et tous les plus toxiques ont déjà été interdits en Europe (Directive 91/414/CEE), et sont progressivement remplacés dans le monde entier. Près de 300 molécules à usage agricole ont ainsi été interdites en Europe au cours des 15 dernières années.

Toutes les nouvelles homologations de produits phytosanitaires passent désormais par un processus de recherche très long (environs 15 ans) et très coûteux, pendant lequel sont évalués les effets des molécules sur la santé humaine (mesure de la toxicité aigüe et mesure des effets à long terme par absorption régulière d’une très faible dose), sur les sols, sur les nappes phréatiques, sur la faune à poils, à plume, aquatique ainsi que sur la faune auxiliaires (insectes utiles comme les abeilles ou les prédateurs que sont les coccinelles, les chrysopes, etc…). De ces travaux, sont aussi établies les doses d’utilisation, les cultures autorisées et les conditions de transport, stockage et manipulation, ainsi que les résidus autorisés sur les produits alimentaires et les limitations d’emploi.



2ème point

“On a inhalé tous, la clope au bec et je ressens encore les odeurs!!!”

Les conditions lamentables de sécurité de ces années-là n’existent plus aujourd’hui dans les pays industrialisés, pour plusieurs raisons :

D’abord les législations ont changé, et elles sont devenues, encore une fois, beaucoup plus sévères. En Europe, il existe plusieurs directives régulant l’étiquetage, le transport, le stockage et la manipulation des substances dangereuses. Toute personne devant manipuler des produits toxiques doit avoir suivi une formation spécialisée, être inscrite sur un registre officiel d’accréditation, et assujettie à un programme régulier de vérification des connaissances et de contrôles médicaux spécifiques. Les entreprises qui ne respectent pas ces législations doivent payer de lourdes amendes, voire peuvent être condamnées à cesser leur activité. Et les contrôles sont nombreux et stricts.

Ensuite, les équipements de protection ont radicalement changé. Les EPI (Equipements de Protection Individuelle) sont beaucoup plus nombreux, performants et confortables. J’ai commencé ma carrière professionnelle comme tractoriste dans le sud de la France, au début des années 80. Nous faisions des traitements avec des produits parfois très dangereux, équipés de protections rudimentaires (de simples vêtements de pluie inconfortables, peu étanches et des masques nez-bouche équipés de mauvais filtres et en caoutchouc allergénique). Ce n’est plus le cas actuellement.

La formation et l’information sur les risques pour la santé et l’environnement ont provoqué un sérieux changement des mentalités. Il y a toujours quelques irréductibles qui refusent de se protéger correctement, de la même manière qu’il y a toujours des gens qui fument, boivent ou refusent le port de la ceinture de sécurité en voiture. Mais on peut dire que dans l’ensemble, la sécurité dans la manipulation de ces substances s’est radicalement améliorée.

Et pour finir, qui croirait, aujourd’hui, qu’un travailleur accepterait de travailler dans des conditions comme celles décrites dans le commentaire, sans aller se plaindre immédiatement à l’inspection du travail ou à son syndicat?



3ème point

“La vente de certains phytos dangereux est interdite en France mais bafouée avec des camions qui passent encore les douanes… L’Espagne et l’Italie, là où sont les cultures maraîchères permanentes, nous font manger des produits dangereux même sous étiquette “bio”!!!”

Ça c’est archi-faux. D’une part, les produits interdits ne le sont pas en France, mais dans toute la Communauté Européenne (Directive 91/414/CEE). Le seul pouvoir des pays en cette matière est la liste des usages autorisés (cultures et cibles) pour chaque substance incluse dans la directive. En Europe, l’utilisation de produits non autorisés est devenue pratiquement impossible. Les contrôles sont draconiens, et à tous les niveaux. En supposant qu’une cargaison de produit interdit ait réussi à rentrer frauduleusement en Europe, les contrôles sont tels, que son utilisation serait presque automatiquement détectée soit sur la culture, soit sur le produit final commercialisé. Les risques pour les fraudeurs sont devenus énormes.

Des analyses de résidus de pesticides sont effectuées sur la culture (sur feuilles et dans le sol), puis sur les fruits et légumes commercialisés au point d’origine, pendant le transport (douanes) et en destination.

Les contrôles sont nombreux, et les plus stricts sont ceux des organismes de mise en vente, en particulier les supermarchés, qui réalisent de nombreuses analyses. La mise en vente d’un produit non contrôlé est un risque commercial qu’aujourd’hui, ces groupes ne sont plus prêts à assumer. La concurrence entre grands groupes commerciaux est telle, que chacun cherche à piéger l’autre sur la sécurité alimentaire, provocant une autorégulation en matière de risques pour la santé des consommateurs.

En ce qui concerne le commentaire sur “l’étiquette “bio””, je dois dire que je ne peux pas émettre les mêmes réserves. En effet, les produits bio ne sont pas soumis aux mêmes règlementations que les produits dits “conventionnels“ et les contrôles sont généralement beaucoup moins exhaustifs (c’est un sujet sur lequel je reviendrai une autre fois). Et il faut bien dire que, mis à part chez les consommateurs, il y a beaucoup moins d’idéalistes du bio que d’opportunistes du bio, et ceci à tous les échelons du circuit.



4ème point

“Sans compter de l’esclavagisme moderne : les cueilleurs venus d’Afrique, sans papier, sous-payés et vivant dans des conditions hors normes d’hygiène!!!”

 A nouveau, c’est archi-faux. Les contrôles sont fréquents (même en Espagne!!!), et les fraudeurs sont sévèrement punis, avec des amendes élevées et/ou des peines de prison. Il n’y a pratiquement plus de sans-papiers travaillant en agriculture en Europe.

Quant aux conditions d’hygiène, elles sont respectées autant au niveau des logements qu’au niveau des conditions de travail. Ces vidéos qui circulent en boucle sur Internet depuis plusieurs années, sont anciennes et sont actuellement totalement fausses, même si c’est vrai que ça a existé en Espagne, en Italie, mais aussi en France et dans de nombreux pays.

Il existe des conventions collectives partout en Europe, avec des régulations de salaires qui sont contrôlées et respectées. Là encore, les manquements sont dénoncés par les ouvriers ou les syndicats, et sévèrement punis.

 Les systèmes de certification auxquels sont assujetties toutes les entreprises voulant exporter vers l’Europe (la certification GlobalGap est la plus habituelle), intègrent tous un volet concernant les conditions environnementales, et un volet concernant les conditions de logement, de travail et d’hygiène (certification GRASP).

Pour finir, il faut savoir que, pour commercialiser un produit alimentaire dans la Communauté Européenne, les entreprises d’origine doivent respecter leur législation locale, ainsi que la législation européenne en matière d’hygiène et de résidus de pesticides.

Par ailleurs, il faut souligner que la législation européenne est, de loin la plus sévère au niveau mondial.



On peut dire que, aujourd’hui, la sécurité alimentaire est au niveau le plus élevé jamais atteint jusqu’à présent. Ce qui n’empêche pas de poursuivre la progression dans le même sens.



La métamorphose en cours de l’agriculture provient de plusieurs points fondamentaux :

-        +  Les législations se sont considérablement durci sur tout ce qui concerne la sécurité alimentaire, l’environnement, la sécurité du travail et la formation.

-         + Les technologies ont beaucoup progressé à tous les échelons du système : techniques agricoles, chimie, matériel de protection, matériel de stockage, matériel de manipulation, etc…

-         + Le matériel de mesure des résidus de pesticides a aussi beaucoup évolué. Il y a 20 ans, les analyses de résidus détectaient des produits présents à 0,1 ppm, c’est-à-dire 1 mg pour 10 kg d’aliments. Actuellement, les équipements permettent de détecter le ppb, ou 0,001 ppm, c’est-à-dire 1 mg pour 1000 kg d’aliments.

-         + Les agriculteurs des nouvelles générations sont formés et diplômés, soit en agriculture ou agronomie, soit en commerce ou direction d’entreprise.

-         + La formation des techniciens et du personnel a énormément progressé.

-         + L’information et la prise de conscience de la gravité des problèmes de santé, d’hygiène et de protection de l’environnement a également fait un bond à tous les niveaux.

-         + Les metteurs en marché ont pris la mesure de la préoccupation des consommateurs, et ont aussi dû s'adapter aux nouvelles règlementations. Ils exigent aujourd’hui de leurs fournisseurs (c’est à dire les agriculteurs), qu’ils respectent des cahiers des charges toujours plus stricts. Ils n’hésitent pas éliminer un fournisseur en cas  de manquement.



Tout ce que je viens d’écrire ne nie en rien des faits qui ont tous existé, et dans toute l’Europe, jusque dans les années 90. Mais actuellement c’est fini.

Ce que je vous dis concerne la Communauté Européenne. Je ne connais pas suffisamment la situation des autres pays pour pouvoir extrapoler. Cependant, le mouvement européen dans la direction d’un meilleur respect à tous les niveaux, tire dans le même sens la majorité des pays qui exportent vers l’Europe.



Laissons tomber les fausses idées qui proviennent de pratiques déjà anciennes.

Je ne cherche pas à nier le passé. Je dis juste que c’est du passé.



Et pour conclure, je veux juste rappeler que, si l’Italie et l’Espagne sont les portes d’entrée de l’immigration clandestine depuis l’Afrique, c’est seulement parce que leurs côtes sont les seules accessibles avec des embarcations de fortune. Mais les clandestins qui réussissent à accoster filent immédiatement vers la France, l’Allemagne et la Hollande, c’est-à-dire les pays plus riches et qui manquent de main d’œuvre locale non qualifiée.

Quant aux fraudeurs, bien sûr il y en a, mais pas plus dans un pays que dans un autre. Je vous rassure, il y en a aussi en France. Le problème est que la moindre fraude est immédiatement instrumentalisée par ceux que ça intéresse (les lobbies bio, par exemple), et largement repris par la presse, friande de scandales. La normalité ne fait pas vendre.

Ces scandales dissimulent malheureusement la très large majorité d’agriculteurs qui font bien leur métier sans frauder, sans exploiter personne, sans détruire l’environnement, dans le respect des législations en vigueur et de ce qu’on appelle « les bonnes pratiques agricoles ».

Enfin, rappelons seulement quelques faits : les derniers grands scandales alimentaires en Europe sont

-         + La fraude à la viande de cheval (2013-France, Royaume-Uni) avec des ramifications vers plusieurs pays de l’est européen, pure fraude de l’industrie agro-alimentaire, heureusement sans conséquence pour la santé.

-         + La crise de la Escherichia coli (2012-Allemagne) bactérie fécale animale provenant d’une culture biologique de graines germées, ayant provoqué une cinquantaine de morts, sans compter les séquelles, et accompagnée de fausses accusations de la part d’une ministre allemande contre l’agriculture espagnole et provocant une crise majeure de l’économie agricole dans toute l’Europe,

-         + La crise de la vache folle ou ESB (Royaume Uni d’abord, puis de nombreux autres pays), plus ancienne, mais aussi plus durable, ayant fait plus de 200 victimes humaines et obligeant à sacrifier près de 200.000 animaux, dans laquelle on a accusé les agriculteurs quand il fallait accuser l’industrie de l’alimentation animale, et la recherche agronomique qui a appuyé dans ce sens, sans s’être posé les questions nécessaires sur les risques à long terme et sur l’éthique de l’alimentation des ruminants avec des farines animales.

Trois crises alimentaires majeures, dont les victimes en termes de morts se chiffrent par dizaines, et en termes de séquelles par centaines, et qui n’ont rien à voir avec l’usage des pesticides.

Où sont l’Espagne et l’Italie dans ces crises ? Seulement au rang des victimes des intérêts particuliers  de certains politiques, de certains lobbies et de certains medias, prompts à lancer des soupçons ou de accusations sans preuve. S’ils ont eu tort, ils présenteront leurs excuses, mais les dégâts auront déjà été faits.

¿Il y a eu des problèmes avec les pesticides illégaux dans les aliments ? Oui, mais de peu d’ampleur et sans victime, autant en Espagne qu’en Italie, mais aussi en France et dans d’autres pays européens, démontrant surtout l’efficacité des mesures de surveillance.



Alors cessons juste de dire n’importe quoi, et s’il y a des accusations à porter (personne n’est parfait), que ce soient sur des faits authentifiés et actuels.


Ma publication d’aujourd’hui est très européenne. Je recommande à mes lecteurs non européens de se renseigner pour connaître la législation de leur pays.

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