dimanche 4 janvier 2015

20- mesurer la qualité au verger

LE GOÛT DU BON

Il est très difficile de mesurer de manière objective, si un aliment est bon au gout, ou pas.
Cela va dépendre du produit en lui-même, et de la personne qui le goute.
Il existe une multitude de critères, mesurables ou non, qui permettent de caractériser le goût.
On peut citer par exemple les arômes, le sucre, l’acidité, l’astringence, l’amertume, la fermeté, la texture, la jutosité, l’équilibre des caractères.
A cela, il faut ajouter des éléments qui vont influencer la perception du gout, par exemple, la température de l’aliment, ou ce que la personne aura mangé avant, ainsi que son état de plaisir à la dégustation, ou simplement son état de stress ou de fatigue.

Bref, pour déterminer si un produit est bon ou pas, le meilleur moyen est la dégustation par des spécialistes. Dans le cas de l’œnologie, c’est devenu une profession. Dans l’industrie agro-alimentaire, les produits transformés passent souvent par un processus de dégustation au travers d’un panel de consommateurs. Mais malheureusement, ce qui est admis comme un moyen objectif de qualifier un vin ou un plat cuisiné en conserve, n’est ni reconnu, ni mis en pratique pour qualifier les aliments frais.
Il faut tout de même signaler qu’il existe, au sien de certains organismes d’expérimentation agricole, comme le CTIFL en France, des efforts louables dans ce sens. Ils permettent, par exemple de caractériser une variété concrète, en décrivant ses arômes typiques ou sa saveur.
Mais ils sont largement insuffisants, au vu de la rapidité du renouvellement variétal d’espèces comme le pêcher, et de la multiplicité des conditions de culture et des variations climatiques.
Et surtout, ils ne peuvent pas répondre au problème routinier de l’agriculture.
En effet, d’une année à l’autre, et même au cours de la même saison, le goût d’un même aliment peut changer, en fonction des conditions de culture, ou des conditions climatiques. De la même manière, une mauvaise gestion de l’irrigation, ou simplement un épisode pluvieux abondant durant la récolte peut faire passer une parcelle de très bonne qualité au début, à insipide à la fin.

Dans la plupart des cas, à l’approche de la maturité, un fruit gagne en sucres et en arômes, et perd, en parallèle, en fermeté et en acidité. Ce processus se produit dans les derniers jours avant maturité. La couleur et le calibre peuvent être acquis plus longtemps avant la récolte. Tout dépend du type de fruit et de la variété.
Il faut ajouter que plusieurs espèces peuvent acquérir leur couleur définitive même après la récolte, pendant la conservation, comme c’est le cas, par exemple, de la banane, la prune, la poire ou les agrumes (processus de «déverdisation»).
C’est pour cela qu’un fruit cueilli trop loin de sa maturité peut avoir de bonnes qualités de présentation (couleur et calibre) et de conservation (fermeté), mais sera loin des qualités gustatives normales de la variété.
Cela vous explique, comme je vous l’ai expliqué dans ma publication nº6 «le gout des aliments frais», de février 2014, que le gout dépend beaucoup plus des conditions de récolte, que du système de culture. On n’est pas capable, aujourd’hui, de distinguer une production conventionnelle d’une production biologique, à partir du gout des aliments, en comparant la même variété, dans des conditions de culture et climatiques équivalentes, et dans des conditions de récolte identiques. De nombreuses expérimentations ont été réalisées ou sont en cours à travers le monde, et toutes celles qui sont suivies et analysées sans parti pris vont dans ce sens. Un des organismes les plus actifs dans ces actions est le CTIFL (Centre Technique Interprofessionnel Fruits et Légumes), en France.

On a donc recours à des moyens simples, qui permettent de contrôler des critères minimum. Que peut-on mesurer facilement ?
Le sucre et la fermeté.
La fermeté représente un critère facilement mesurable de l’état d’avancement de la maturation pour beaucoup de fruits. Il permet également d’estimer la durée de vie du fruit après la récolte, si les conditions de conservation sont adaptées.
Pour la pomme, on peut aussi mesurer la régression de l’amidon en sucres, signe de son état de maturité.
On peut également mesurer l’acidité du jus, mais cela demande une manipulation de laboratoire, simple mais fastidieuse, pas toujours évidente à mettre en œuvre, et difficile à utiliser en routine. C’est un critère de qualité, pas de décision de récolte.
Le sucre est actuellement le critère le plus simple à mesurer, avec la fermeté. Grace à des instruments de manipulation simple et rapide, on peut ainsi les mesurer, directement au verger.
Ce sont des critères de qualité qui apportent une aide importante pour choisir le moment idéal de récolte.

La détermination du moment optimal de cueillette est fondamentale pour garantir la meilleure qualité gustative possible du fruit.
Anticiper la cueillette donne un fruit qui aura encore beaucoup d’amidon (dans le cas de la pomme), et d’acide, tout en n’ayant pas encore accumulé les sucres et les arômes, ce qui peut le rendre désagréable, et même agressif à la dégustation.

Les instruments qu’on utilise habituellement au verger sont le pénétromètre, pour la fermeté, le réfractomètre pour le sucre, et le calibreur, pour le calibre.

On mesure le sucre en utilisant l’échelle de Brix. Le degré Brix (ºBx ou ºB) mesure la concentration en sucre d’une solution. Une lecture de 10ºBx signifie qu’il y a 10g de sucre dans 100g de la solution mesurée. C’est l’indice réfractométrique IR.
Chaque type de fruit a des références propres. Ainsi, un niveau de sucre de 7,5 sera considéré comme haute qualité gustative pour de la fraise de printemps, alors qu’il sera considéré comme mauvaise qualité gustative pour de la pomme ou de la pêche.

En pêche, la norme exige un niveau minimum d’IR de 8 pour les variétés les plus précoces, mais on considère en général que la qualité est satisfaisante à partir de 9, bonne à partir de 10 et supérieure à partir de 12.

Voici une séquence de photos, dans laquelle je réalise ces mesures routinières au verger.

Le calibre, pour choisir les critères de cueillette et pour indiquer à l’équipe commerciale quelles seront les caractéristiques du fruit.

 La fermeté, qui se mesure dans la partie la plus superficielle de la chair.



L’indice réfractométrique (ici, une nectarine jaune, très bonne).




Mais rien de tout cela ne prend en compte les aromes, qui peuvent donner une bonne pêche avec peu de sucre, ou même compenser un manque d’acidité. Par contre une pêche sans aromes ni acidité sera insipide, même avec plus de 10ºBrix.
Les aromes sont actuellement impossibles à mesurer en routine. Il faut donc choisir les variétés à la dégustation.

Et pour l’agriculteur, il restera toujours un problème, parfois sérieux. C’est la plante qui fait le gout du fruit. La génétique en est la base. Il y a des variétés à fort potentiel gustatif (en prune, on citer la Reine Claude en prune, par exemple), et d’autres à potentiel beaucoup plus limité (beaucoup de variétés de prunes japonaises).
Mais les conditions climatiques peuvent nous jouer des tours, et il peut suffire d’un ciel couvert pendant plusieurs jours au moment critique, pour que la qualité gustative baisse fortement.
Pour peu que le fruit soit cueilli trop tôt (c’est-à-dire bien avant que les critères mesurables n’aient atteint leur potentiel idéal), alors on peut se trouver avec un fruit totalement insipide, voire mauvais.
Mais même dans des conditions très défavorables, une variété fortement aromatique sera toujours meilleure qu’une variété peu aromatique.
Il faut aussi être bien conscient que la qualité gustative n’est pas un critère de décision de récolte. Quand le fruit est physiologiquement à point, il faut le cueillir, qu’il soit bon, ou pas, sinon on le perd. La marge de manœuvre dépend beaucoup du type de culture. En agrumes, la marge est plutôt large. Par exemple, dans le cas du pomelo, elle est de plusieurs mois. Dans le cas de la pêche, de la fraise, de l’abricot, par exemple, si on cherche à produire un fruit de haute qualité, la marge est d’un jour, parfois deux, jamais plus, et parfois même de moins d’un jour.
Les conditions climatiques adverses peuvent provoquer une maturation accélérée du fruit, sans que les critères de surveillance n’aient pu donner le signal d’alerte. Un temps lourd et orageux peut faire passer un fruit de dur à mou en quelques heures.
La surveillance visuelle et l’anticipation des conditions climatiques vont parfois être des critères de décision.

Aucune de toutes ces mesures ne peut remplacer le toucher, et la vue. Des critères comme la luminosité de la couleur, ou le brillant du fruit, ainsi que la sensation de «gommeux» que prend un fruit au toucher juste avant de perdre notablement sa fermeté, entrent aussi en ligne de compte, et pour ça, c’est l’expérience qui sert le plus. C’est ici que je sens encore indispensable…

Les principaux metteurs en marché, c’est-à-dire les supermarchés, ont depuis longtemps choisi de privilégier le sucre, car cela représente, pour eux, un moyen simple, économique et rapide, de vérifier si les lots qu’ils achètent correspondent à leurs cahiers des charges.
D’autre part, ils recherchent, non pas tant la satisfaction du client, à cause de la subjectivité et la complexité que cela représente, mais plutôt sa non-déception. La haute qualité gustative d’un fruit est difficile à maintenir dans le temps, alors qu’un critère simple de sucre minimum permet de ne pas décevoir, à peu près à coup sûr. Mais ça ne garantit absolument pas que le consommateur ait pris du plaisir à manger ces fruits.

Il est pourtant indispensable d’avoir des critères objectifs et mesurables pour estimer le niveau de qualité des fruits. Le système qui consiste à limiter la détermination de la qualité gustative aux seuls critères de sucre et de fermeté est loin d’être parfait. Il est même très insuffisant.
Serons-nous un jour capables de mesurer de manière routinière une plus large gamme de critères de qualité ?
C’est probable, mais en attendant, le mieux pour vous, consommateurs, est de demander à votre marchand habituel, si c’est un spécialiste, de tester, ou tout au moins de vous conseiller.
Car il peut exister une grande diversité de goûts et sensations possibles à déguster un produit, apparemment homogène. Dans le seul cas de la pêche, vous pouvez avoir des fruits acidulés, équilibrés ou subacides (sans acidité), aromatiques ou non, croquants ou fondants, juteux ou pâteux, sucrés ou non.
Alors, un conseil peut être le bienvenu, mais n’est pas souvent facile à trouver.

Vous savez, lorsque je ne suis pas en période de récolte de pêches, ou pendant mes vacances, c’est souvent à moi qu’on demande d’acheter les fruits, puisque je suis un spécialiste. A part quand je peux le faire sur le marché (et encore), je me retrouve dans la même situation que vous. Les fruits sont généralement tous beaux. Mais seront-ils bons ?
La seule chose que vous pouvez tenter, mais ça ne marche pas à tous les coups, c’est de humer, sentir les fruits. S’ils sont aromatiques, les chances qu’ils soient bons sont plus élevées.

Bonne chance !

J’ai décidé de faire cette publication pour préparer la prochaine, sur les fruits déclassés malgré leur qualité supérieure.

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